Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Maurice Blanchard (1890-1960) Rencontre avec Maurice Blanchard (1890-1960 ) : L'offrande (1953)

L'OFFRANDE(1953)

Vita nuova

Un sommeil d’ enfant, l'eau d'une source neuve où jamais un chien n'est venu laper, ce miroir jamais terni par une présence et le cœur sans rides, c'est le temps qui glisse en silence dans l'herbe toujours verte.

Au souffle de l’aurore, l'ombre se déroulera et mangea les pierres. A la surface des eaux, une huile diaprée étendit sa douceur et son or. Revenu d'un long voyage au pays de l'oubli où j'atteignis le bonheur dans la nuit vivante du sommeil, je me retrouvai devant les portes étincelantes du matin, ses pavés d’or et ses pures colonnes.

Depuis toujours le matin cheminait dans les cimetières gelés. Par la vitre du refuge j'ai vu tes yeux.


Le chant du matin

Il y avait dans cette forêt un tel frémissement, comme des cloches vides caressées par le feuillage, il y avait un tel renversement de la vie que les grands arbres portaient leurs racines en diadème, que des fontaines jaillissaient des cimes dansantes et que je me voyais étendu sur mon lit de feuilles jaunies, parcourant le monde sous un ciel immobile dont la solidité incontestable avait emprunté son chagrin au parfum des fées, à la profondeur des mers et des cœurs ardents, et ce fut la flamme qui se nourrit de la flamme. Le ciel et la cime des arbres couvrirent ta nudité et tout redevint rouge quand mes yeux furent crevés.


Primevère

Car mes yeux furent crevés. Oui ! Par qui ? par moi, par vous, par l’autre, par le quatrième et le cinquième, puis par les ignobles qui sont mille fois cent mille . Et aussi par les choses les plus douces : le reflet de l’ignorance, le pêcheur silencieux au bord de la rivière et qui passe, d'une main extrêmement précise et douce, l’imperceptible lacet de cuivre par le travers d'un brochet immobile, roseau parmi les roseaux. On le prend par la tête, et c'est le cœur qui se brise sur l’herbe, sur la berge du temps, sur l'épaule de la bien-aimée lointaine.

Je me souviens d'un pays étrange, près de la mer. Je me souviens d'une chevelure et d'une source.


Alborada

Je reverrai le jour, car je tracerai inlassablement mon chemin dans la forêt. Ce chemin sera mon chemin, et la lumière, enfin, sera ma lumière et je n'aurais plus honte de mon courage.

Reine du jour et des eaux changeantes ! Reine des jardins suspendus ! déjà j'entends ta voix au loin, qui chante, et ce chemin sera le tien. Le destin se nourrira de nos amours, de nos mains jointes et de nos paroles entrelacées.

Ta beauté se dévoile : ta beauté se meurt. Ta voix s’éteint : le marbre de ton front s’illumine et je vois la neige. Je vois la plaine immaculée et ses buissons étincelants. Les fleurs seront belles, les souvenirs s'ouvriront sous les pluies d’automne.

En automne les horizons s’effacent, la terre se creuse et l'on s'aperçoit que le monde a changé.


Joie

Je veux savoir où je suis. Les rideaux du désastre s'en sont allés en lambeaux et la vie nouvelle a soudain enflammé le paysage, là où l’Orient a jeté les brandons. L'homme heureux n'a plus besoin de poésie. Il se rue alors vers ce monde inacceptable où les êtres sont les choses, où les choses sont les êtres, où la bestialité reste le seul refuge et la seule rédemption.Je veux savoir où je suis

Je parcours un pays très étrange. J’aime la forêt, son silence cadencé, j'aime la mer, ses vagues toujours nouvelles et ses voiliers chantant, là-bas, au plus haut de l’horizon, papillons du soleil levant.

Les enfants sont adorables, qui dessinent ainsi le pressentiment et l’aventure;

Et les hommes sont absents.


L’offrande du pestiféré

J'ai tant aimé les arbres, les arbres au bord de l’eau . Enfant, je me tenais sur la plus haute fourche du plus haut de mes arbres, et j'ai revu cet arbre qui me ressemble : alors se balançant au-dessus des jardins, aujourd'hui immobile au-dessus du marécage. La terre est abandonnée, l'arbre est encore debout. J'ai tant aimé l’avenir. j'ai tant souffert !

De dures, de très silencieuse années ont fait mûrir les poisons dans mon cerveau. Je vous offre cette tache noire sur le ciel, je vous offre ce nid centenaire abandonné par les corbeaux .

C’est la vie, derrière les roseaux inutiles, cette une vieille femme penchée sur les oignons.

Pages 183 à 186 :Maurice Blanchard, par Jean-Pierre Peuchmaurd-Poètes d'aujourd'hui-Seghers 1988