Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Maurice Blanchard (1890-1960) Rencontre avec Maurice Blanchard (1890-1960 ) : Le monde qui nous entoure (1951)

Noces

Il y eut promesse de mariage entre le vent et la neige. La neige et le vent échangèrent leurs anneaux et le navire, ganté de givre, entra lentement dans la cérémonie des amours. Ii entra lentement dans la saison des attendrissements.

Le bonheur est immobile sur la crème d'un nuage, c'est une lumière qui gèle et qui casse. C'est un buisson de lis avec des serpents violets qui se glissent entre le crépuscule et la mer, qui se glissent dans l'herbe sanglante du crépuscule.

Le fouet claque et déchire la neige du premier amour. Le repas du fauve s'achève dans le sang des orchidées.


Le vent du dégel

Je ne parle pas au nom des autres;. Je les ai vus qui fondaient comme du beurre dans la lumière du Sahara et ce ne sont plus, à présent que des bulles de vapeur qui se traînent au pied des montagnes comme les petits moutons des images saintes. Vos crachats ont rongé mon visage et la lumière est entrée . Je suis prêt pour le dernier combat, pour le dernier mépris, et vous n'aurez plus rien de moi .Les fleuves franchiront leurs parapets. Il n'y aura pas de pitié ni de demeure dernière. Vous implorerez je ne sais plus qui et vous souhaiterez la plus prompte des morts comme je vous la souhaite bonne et heureuse.


Je lance un coup d’archet

La mémoire naquit d'un coup de bâton. Le temple fut profané par ceux qui travaillent avec les mains, par ceux qui travaillent avec les pieds. Et ce fut le matin, et ce fut la nuit pour ceux qui ont faim, pour ceux qui rêvent et pour ceux dont le cœur a ses raisons. Je me sauve. Comprenez-le comme vous voudrez, le miracle est là derrière la porte. Après la guerre, ce fut la guerre et maintenant c'est la guerre et c'est la lutte impitoyable des crocodiles sous la voûte du cerveau. On déchire dans tous les sens les images de soie et d’or, on rêve de bonté, on marche sur les oiseaux. Et quel silence!


La poussière, les années

Il vit dans les flammes. Il ne se brûle pas, la réalité le protège. Le hasard est son maître, et la mort sa passion. La compassion c'est la pire injure, et vous ne pouvez rien, ni pour lui, ni contre lui . Surtout ne le plaignez pas, il vous tuerait. Ce fut un enfant abandonné sur un fagots d’épines. Ce fut un adolescent sans espoir et sans lumière . Ce fut une taupe dans son royaume souterrain et la terre lui fut un refuge contre la bassesse du ciel. La cause première des orages c'est le vent qui rend les cavale folles, elles aussi. C'est le vent qui emporte les arbres au paradis. Les arbres, la fleur et la semence. Et les serpents aussi. ceux qui font que notre cœur éclate.


Les délices de la guerre

Tout à refaire, à chaque minute et tout au long des années. Je me dresse chaque nuit au plus haut de la falaise et je me jette dans la fête avec un chapeau de sang. La danse la plus légère, la chanson du matin;

Les années de cruauté sur les années heureuses. Ne plus être au monde. Être l'absolue puissance. Avoir un droit sur la mort : la négation. Et vivre en dehors. Vous avez senti cela, vous autres qui m'avait vu une fois, mais pas deux. Vous fûtes une pincée de tabac dans ma pipe ,quand j'avance contre le vent

Je m’exprime, et des mots inouïs projettent leurs feux au fond des grottes, au bord de la mer. La conscience, c'est Jeanne d'Arc qui s'avance vers le bûcher.

Et comme tout est simple ! Des mots qui ont traîné partout !


Les voies lactées

Je fais ma lumière moi-même, ma lumière, mon obscurité. Et le grand vent venu du Sud-Ouest ne peut l’éteindre. C'est un monde entre mon pouce et mon index. Les charbons ardents sont le silence même. La souffrance, c'est l'eau dormante, le bon sens, l’humanité.

«  Io non ben ridir com’io v’entrai » mais je puis très bien dire comment je sortirai. Le volcan a craché ses fantômes : la rivière, en ruban de givre, a gravi la plus haute montagne pour jouer avec le soleil et le soleil est un gros chat familier qui pose sa patte de velours sur la main de son maître .

Nous autres les morts, nous autres les rubans de lait, enlaçons l'homme qui souffre. Le rameau hanté danse au bord du gouffre et demain, c’est « toujours ».

Voici enfin la nuit que j'aime et qui chante.

Pages 177 à 182 :Maurice Blanchard, par Jean-Pierre Peuchmaurd-Poètes d'aujourd'hui-Seghers 1988