Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Alfred de Musset Rencontre avec Musset :Fin des Caprices de Marianne

Écoutez Gérard Philippe , Marc et André

Les Caprices de Marianne , création le 15 juillet 1958 en Avignon au cours du 12e Festival-Régie: Jean Vilar

Sérénade chantée par André Schlesser et Marc Chevalier-Musique de Maurice Jarre

G.Philipe &Geneviève Page-PhotoA.Vatda.jpeg Gérard Philippe et Geneviève Page dans les Caprices de Marianne(Photo Agnès Varda)

"Grâce à une initiative heureuse de Jean Vilar, le T.N.P a constitué depuis plusieurs années des archives sonores - Ces enregistrements sont une fin en eux-mêmes - Un soir les micros sont branchés, comme les projecteurs - Un soir comme les autres où les comédiens jouent et vivent.(...)C'est de ces archives, mises exceptionnellement à notre disposition par Jean Vilar,que nous avons extrait cet hommage que le T.N.P rend à Gérard Philipe"(extraits de la présentation par Lucien Adès des disques vinyles Grand Prix du Disque Académie Charles Cros édités par les Disques Adès .

SCÈNE VI.

OCTAVE et MARIANNE, auprès d'un tombeau.

OCTAVE.

Moi seul au monde je l'ai connu. Cette urne d'albâtre, couverte de ce long voile de deuil, est sa parfaite image. C'est ainsi qu'une douce mélancolie voilait les perfections de cette âme tendre et délicate. Pour moi seul, cette vie silencieuse n'a point été un mystère. Les longues soirées que nous avons passées ensemble sont comme de fraîches oasis dans un désert aride ; elles ont versé sur mon coeur les seules gouttes de rosée qui y soient jamais tombées. Coelio était la bonne partie de moi-même ; elle est remontée au ciel avec lui. C'était un homme d'un autre temps; il connaissait les plaisirs, et leur préférait la solitude; il savait combien les illusions sont trompeuses, et il préférait ses illusions à la réalité. Elle eût été heureuse, la femme qui l'eût aimé.

MARIANNE.

Ne serait-elle point heureuse, Octave, la femme qui t'aimerait ?

OCTAVE.

Je ne sais point aimer ; Coelio seul le savait. La cendre que renferme cette tombe est tout ce que j'ai aimé sur la terre, tout ce que j'aimerai. Lui seul savait verser dans une autre âme toutes les sources de bonheur qui reposaient dans la sienne. Lui seul était capable d'un dévouement sans bornes ; lui seul eût consacré sa vie entière à la femme qu'il aimait, aussi facilement qu'il aurait bravé la mort pour elle. Je ne suis qu'un débauché sans coeur ; je n'estime point les femmes ; l'amour que j'inspire est comme celui que je ressens, l'ivresse passagère d'un songe. Je ne sais pas les secrets qu'il savait. Ma gaieté est comme le masque d'un histrion ; mon coeur est plus vieux qu'elle, mes sens blasés n'en veulent plus. Je ne suis qu'un lâche ; sa mort n'est point vengée.

MARIANNE.

Comment aurait-elle pu l'être, à moins de risquer votre vie ? Claudio est trop vieux pour accepter un duel, et trop puissant dans cette ville pour rien craindre de vous.

OCTAVE.

Coelio m'aurait vengé si j'étais mort pour lui, comme il est mort pour moi. Ce tombeau m'appartient : c'est moi qu'ils ont étendu sous cette froide pierre ; c'est pour moi qu'ils avaient aiguisé leurs épées ; c'est moi qu'ils ont tué. Adieu la gaieté de ma jeunesse, l'insouciante folie, la vie libre et joyeuse au pied du Vésuve ! Adieu les bruyants repas, les causeries du soir, les sérénades sous les balcons dorés ! Adieu Naples et ses femmes, les mascarades à la lueur des torches, les longs soupers à l'ombre des forets ! Adieu l'amour et l'amitié ! Ma place est vide sur la terre.

MARIANNE.

Mais non pas dans mon coeur, Octave. Pourquoi dis-tu : Adieu l'amour ?

OCTAVE.

Je ne vous aime pas, Marianne ; c'était Coelio qui vous aimait.

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Écoutez Jean Vilar

Texte extrait du livret de présentation du coffret