Réédition du billet du 19 février 2016
La dernière douane
Depuis que le silence
n’est plus le père de la musique
depuis que la parole a fini d’avouer
qu’elle ne nous conduit qu’au silence
les gouttières pleurent
il fait noir et il pleut
Dans l’oubli des noms et des souvenirs
il reste quelque chose à dire
entre cette pluie et Celle qu’on attend
entre le sarcasme et le testament
entre les trois coups de l’horloge
et les deux battements du sang
Mais par où commencer
depuis que le midi du pré
refuse de dire pourquoi
nous ne comprenons la simplicité
que quand le cœur se brise
Genève, avril 1983
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C’est grâce à Vladimir Holan, autant qu’à Henri Michaux, que j’ai compris que certaines visites que la vie nous rend sont si mystérieuses qu’elles doivent prendre la forme d’un poème, que la prose la plus éclatante ne rendrait justice ni à leur transparence ni à leur opacité qui sont forcément voisines puisque nous ne comprenons pas la transparence mais pouvons seulement la flairer comme un limier flaire un gibier dont il sait qu’il n’est pas pour lui. Ce sont eux qui m’ont, sur le tard, conduit à écrire des poèmes, non par ambition littéraire, mais pour survivre et mieux vivre, sachant, à travers eux, que la poésie est le seul antidote contre la solitude et la mort.
Voilà un autre texte de Bouvier sur Holan :
«. Retour d’un long voyage, alors que je me réinstallais dans une vie sédentaire, je suis tombé sur le recueil DOULEUR, tombé par exemple sur cette phrase : « Voici le moment où le lac gèle à partir de ses rives et l’homme à partir de son cœur » (L’Aube). Il ne m’en fallait pas plus pour savoir que ce petit bouquin d’un éclat si sombre et si fraternel serait pour moi un compagnon de vie, un guide-âme pour le jeune Aliboron que j’étais, la leçon d’irrationnel dont j’aurais toujours besoin, une morale de l’échec fredonnée par un homme qui, comme un sage japonais, savait mieux que personne que si la poésie pouvait véritablement atteindre le cœur de la cible, le monde disparaîtrait et les étoiles s’éteindraient comme chandelles soufflées ».
( Nicolas Bouvier, œuvres complètes p. 885) et dans Le dehors et le dedans, page 96 (éd.ZOE,1997)