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Rencontre avec Paul Valéry Rencontre avec Paul Valéry : Fragments du Narcisse - II extrait

Écoutez Jean Vilar

FRAGMENTS DU NARCISSE- II  extraits

Quand le feuillage épars

Tremble, commence à fuir, pleure de toutes parts,

Tu vois du sombre amour s’y mêler la tourmente,

L’amant brûlant et dur ceindre la blanche amante,

Vaincre l’âme... Et tu sais selon quelle douceur

Sa main puissante passe à travers l’épaisseur

Des tresses que répand la nuque précieuse,

S’y repose, et se sent forte et mystérieuse ;

Elle parle à l’épaule et règne sur la chair.

  Alors les yeux fermés à l’éternel éther

Ne voient plus que le sang qui dore leurs paupières ;

Sa pourpre redoutable obscurcit les lumières

D’un couple aux pieds confus qui se mêle, et se ment.

Ils gémissent ... La Terre appelle doucement

Ces grands corps chancelants, qui luttent bouche à bouche,

Et qui, du vierge sable osant battre la couche,

Composeront d’amour un monstre qui se meurt ...


Leurs souffles ne font plus qu’une heureuse rumeur,

L’âme croit respirer l’âme toute prochaine,

Mais tu sais mieux que moi, vénérable fontaine,

Quels fruits forment toujours ces moments enchantés !

  Car, à peine les cœurs calmes et contentés

D’une ardente alliance expirée en délices,

Des amants détachés tu mires les malices,

Tu vois poindre des jours de mensonges tissus,

Et naître mille maux trop tendrement conçus !

  Bientôt, mon onde sage, infidèle et la même,

Le Temps mène ces fous qui crurent que l’on aime

Redire à tes roseaux de plus profonds soupirs !

Vers toi, leurs tristes pas suivent leurs souvenirs ...

  Sur tes bords, accablés d’ombres et de faiblesse,

Tout éblouis d’un ciel dont la beauté les blesse

Tant il garde l’éclat de leurs jours les plus beaux,

Ils vont des biens perdus trouver tous les tombeaux ...

« Cette place dans l’ombre était tranquille et nôtre ! »

« L’autre aimait ce cyprès, se dit le cœur de l’autre,

« Et d’ici, nous goûtions le souffle de la mer ! »

Hélas ! la rose même est amère dans l’air...

Moins amers les parfums des suprêmes fumées

Qu’abandonnent au vent les feuilles consumées !...

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