Me voici devant vous
Déchiré mais unique
Rescapé
De la paix éternelle
Que pourrais-je vous donner
De plus grand que mon souffle
Il n’y pas de calme
Cuirassé
L’Archange de la Mort
M’a comblé de survie
Je traverse
Mes mortelles évidences
La Raison
Cette marraine de folie
La Croix
Cette marâtre de l’Esprit
La Loi
Cette maîtresse d’infamie
Je commence à comprendre
Sans saisir
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La parole qui me porte
Est l’intacte parole
Elle ignore la gloire
De la décrépitude
La parole qui me porte
Est l’abrupte parole
Elle ignore le faste
De la sérénité
La parole qui me porte
Est l’obscure parole
Dans ses eaux profondes
Ma lumière se noie
La parole qui me porte
Est la dure parole
Elle exige de moi
L’entière soumission
La parole qui me porte
Est une houle de fond
C’est une haute parole
Sans frontière et sans nom
La parole qui me porte
Me soulève avec rage
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Voici mes remous
Voici mes orages
Voici ma raison
Qui s’affaisse
Voici ma folie
Qui chavire
Voici ma sagesse
Qui s’effondre
Voici ma joie
Qui éclate
Voici mon déclin
Qui se brise
Voici ma détresse
Qui s’écroule
Voici mon naufrage
Qui se lève
Mon destin
Ce refus de l’Abri
J’envahis mes limites
J’enfonce mes repaires
Je dévaste mes tristesses
Je ravage mes colères
Ma puissance et ma gloire
S’entredéchirent
Mes tempêtes
Ont franchi l’espérance
Et j’avale l’Inconnu
Qui m’écrase
Paul Valet, La parole qui me porte, Mercure de France, 1965. et Poésie/Gallimard 2020Pages 149-155