Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Max Jacob Rencontre avec Max Jacob : Le sommeil

Le sommeil   Au Cher Igor Markevitch

Veilleur de nuit, veilleur de nuit,

Dans les rais d’argent de la nuit.


Qu’y a-t-il de plus pauvre que l’homme endormi ?

La nuit ne caresse pas. Ô prison de la nuit !

Mais la pensée est une eau froide

Qui tombe sur ton cadavre vide.


Qu’y a-t-il de plus pauvre que la pensée ?

Elle féconde la misère de l’homme endormi.

Elle arrose la tête, elle l’ensemence.


Pitoyable être, je n’ai compris ton silence

Que dans le sommeil. Pas de dimanche

Pour le sommeil impitoyable de l’homme nu,

Même le songe n’est pas à lui.


Terne oreiller, ô dure terre pour mon épaule,

Songe mystère qui vient du pôle

À l’arbre qui rêve, à l’arbre qui dort,

Pareil est notre sort.

Veilleur de nuit, veilleur de nuit,

L’océan ne fait aucun bruit.

Voici la voile qui s’étale

Le bateau du lac de Stymphale.

Tamponnez le môle du sommeil

Rame nocturne, sabot, je m’éveille.

Max Jacob, Rivage (1931), dans Ballades, Gallimard, 1970, p. 175-176.