Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Saint - John Perse Rencontre avec Saint John Perse : Éloges I, II, III, et IV

  Éloges             I

                        Les viandes grillent en plein vent, les sauces se composent

       et la fumée remonte les chemins à vif et rejoint qui marchait.

     Alors le Songeur aux joues sales

     se tire

     d'un vieux songe tout rayé de violences, de ruses et d'éclats,

     et orné de sueurs, vers l'odeur de la viande

     il descend

     comme une femme qui traîne : ses toiles, tout son linge et ses cheveux défaits.

II

       J'ai aimé un cheval — qui était-ce ? — il m'a bien regardé de face, sous ses mèches.

     Les trous vivants de ses narines étaient deux choses belles à voir — avec ce trou vivant qui gonfle au-dessus de chaque oeil.

     Quand il avait couru, il suait : c'est briller ! — et j'ai pressé des lunes à ses flancs sous mes genoux d'enfant . . .

      J'ai aimé un cheval — qui était-ce ? — et parfois (car une bête sait mieux quelles forces nous vantent)

     il levait à ses dieux une tête d'airain : soufflante, sillonnée d'un pétiole de veines.

Écoutez Georges Claisse

III



     Les rythmes de l'orgueil descendent les mornes rouges.

     Les tortues roulent aux détroits comme des astres bruns.

     Des rades font un songe plein de têtes d'enfants . . .

       Sois un homme aux yeux calmes qui rit,

     silencieux qui rit sous l'aile calme du sourcil, perfection du vol (et du bord

immobile du cil il fait retour aux choses qu'il a vues, empruntant les chemins

de la mer frauduleuse . . . et du bord immobile du cil

     il nous a fait plus d'une promesse d'îles,

comme celui qui dit a un plus jeune: « Tu verras!»

Et c'est lui qui s'entend avec le maître du navire).

IV

     Azur ! nos bêtes sont bondées d'un cri!

     Je m'éveille, songeant au fruit noir de l'Anibe dans sa cupule verruqueuse et tronquée . . . Ah bien! les crabes ont dévoré tout un arbre à fruits mous. Un autre est plein de cicatrices, ses fleurs poussaient, succulentes, au tronc. Et un autre, on ne peut le toucher de la main, comme on prend à témoin, sans qu'il pleuve aussitôt de ces mouches, couleurs ! . . .

Les fourmis courent en deux sens. Des femmes rient toutes seules dans les abutilons, ces fleurs jaunes- tachées-de-noir-pourpre-à-la-base que l'on emploie dans la diarrhée des bêtes à cornes . . .

Et le sexe sent bon. La sueur s'ouvre un chemin frais. Un homme seul mettrait son nez dans le pli de son bras. Ces rives gonflent, s'écroulent sous des couches d'insectes aux noces saugrenues. La rame a bourgeonné dans la main du rameur. Un chien vivant au bout d'un croc est le meilleur appât pour le requin . . .

     — Je m'éveille songeant au fruit noir de l'Anibe ; à des fleurs en paquets sous l'aisselle des feuilles.