Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Saint - John Perse Rencontre avec Saint-John Perse : Oiseaux No 10 - Gratitude du vol

Écoutez un extrait de « Oiseaux » sur une musique de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho (*1952)

X

Gratitude du vol !... Ceux-ci en firent leur délice.


       Sur toutes mesures du temps loisible, et de l’espace, délectable, ils étendent leur loisir et leur délectation : oiseaux du plus long jour et du plus long grief…


       Plus qu’ils ne volent, ils viennent à part entière au délice de l’être : oiseaux du plus long jour et du plus long propos, avec leurs fronts de nouveau-nés ou de dauphins des fables…


       Ils passent, c’est durer, ou croisent, c’est régner : oiseaux du plus long jour et du plus long désir… L’espace nourricier leur ouvre son épaisseur charnelle, et leur maturité s’éveille au lit même du vent.


       Gratitude du vol… Et l’étirement du long désir est tel, et de telle puissance, qu’il leur imprime parfois ce gauchissement de l’aile qu’on voit, au fond des nuits australes, dans l’armature défaillante de la croix du Sud…


       Longue jouissance et long mutisme… Nul sifflement là-haut, de frondes ni de faux. Ils naviguaient déjà tous feux éteints, quand descendit sur eux la surdité des dieux…


       Et qui donc sut jamais si, sous la triple paupière aux teintes ardoisées, l’ivresse ou l’affre du plaisir leur tenait l’œil mi-clos ? Effusion faite permanence, et l’immersion totale…


          A mi-hauteur entre ciel et mer, entre un amont et un aval d’éternité, se frayant route d’éternité, ils sont nos médiateurs,  et tendent de tout l’être à l’étendue de l’être…


       Leur ligne de vol est latitude, à l’image du temps comme nous l’accommodons. Ils nous passent toujours par le travers du songe, comme locustes devant la face… Ils suivent à longueur de temps leurs pistes sans ombrage, et se couvrent de l’aile, dans midi,  comme du souci des rois et des prophètes.