Réédition du billet du 26 juin 2018
Dans le livre : Tobie des marais de Sylvie Germain, (publié chez Gallimard en 1998 (Collection blanche) ),j'ai trouvé, pages 84-85 le texte suivant , qui évoque Saint-John Perse et ce poème :
Et, parmi les poètes, quelques uns retenaient particulièrement son attention ; ainsi, Saint John Perse, à cause de la sonorité, soyeuse de son nom, et, plus encore de l'ampleur, de ses phrases, de leur lourd, flux, de mots plus insolites les uns que les autres. Et ce qui étonnait Tobie, c'était le contraste entre la brièveté des titres, Éloges, Vents, Amers, Exil. Chronique, Oiseaux… et le déferlement de phrases. dès la première page, cette houle énorme, pleine de mugissements, de chatoiements, de sifflements .
"Ô toi désir qui vas chanter…" Et ne voilà-t-il pas déjà toute ma page elle-même bruissante,__
Comme ce grand arbre de magie sous sa pouillerie d'hiver :vain de son lot d'icônes, de fétiches,
Berçant dépouilles et spectres de locustes ; léguant, liant au vent du ciel filiales d'ailes et d'essaims, lais et relais du plus haut verbe
--Ha! très grand arbre du langage peuplé d'oracles, de maximes et murmurant murmure d'aveugle-né dans les quinconces du savoir
__ Tout ou presque échappait à Tobie,, mais il n’en ressentait pas moins un confus plaisir, c'était puissant et chaud, comme une pluie d'été. Et puis parfois il recherchait dans le dictionnaire quelques mots qui l’intriguaient, plus que d'autres, dont la sonorité lui plaisait, et souvent, il restait tout décontenancé devant la définition d'un mot auquel, lui, avait déjà prêté un sens autre, sans aucun rapport.
Il y avait aussi Verlaine, dont certains vers flottaient en lui longtemps après qu'il les avait lu, pareils à ces lambeaux de brume, s’accrochant dans les haies, les fourrés, ou au fil de la Vierge, zébrant l’herbe de fins éclairs d'argent : cela est impalpable,— une puais, un frisson, et cependant, résiste au vent, à la nuit, à l’oubli.
Écoutez Pierre Castonguay
VENTS I -1
C'étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n'avaient d'aire ni de gîte,
Qui n'avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l'an de paille sur leur erre… Ah ! oui, de très grands vents sur toutes faces de vivants !
Flairant la pourpre, le cilice , flairant l'ivoire et le tesson, flairant le monde entier des choses,
Et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d'athlètes, de poètes,
C'étaient de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde,
Sur toutes choses périssables, sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses ...
Et d'éventer l'usure et la sécheresse au coeur des hommes investis,
Voici qu'ils produisaient ce goût de paille et d'aromates, sur toutes places de nos villes,
Comme au soulèvement des grandes dalles publiques. Et le coeur nous levait
Aux bouches mortes des Offices . Et le dieu refluait des grands ouvrages de l'esprit.
Car tout un siècle s'ébruitait dans la sécheresse de sa paille, parmi d'étranges désinences : à bout de cosses, de siliques, à bout de choses frémissantes,
Comme un grand arbre sous ses hardes et ses haillons de l'autre hiver, portant livrée de l'année morte;
Comme un grand arbre tressaillant dans ses crécelles de bois mort et ses corolles de terre cuite -
Très grand arbre mendiant qui a fripé son patrimoine, facebrûlée d'amour et de violence où le désir encore va chanter.
"Ô toi désir qui vas chanter…" Et ne voilà-t-il pas déjà toute ma page elle-même bruissante,
Comme ce grand arbre de magie sous sa pouillerie d'hiver :vain de son lot d'icônes, de fétiches,
Berçant dépouilles et spectres de locustes ; léguant, liant au vent du ciel filiales d'ailes et d'essaims, lais et relais du plus haut verbe —
Ha! très grand arbre du langage peuplé d'oracles, de maximes et murmurant murmure d'aveugle-né dans les quinconces du savoir ...
Saint-John Perse
Écoutez Didier Péan