Réédition du billet du 27 juin 2018
En hommage à la compositrice finlandaise Kaija Saariaho, décédée le 2 juin 2023
Ècoutez un extrait de « Oiseaux » sur une musique de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho (*1952), récitant Amin Maalouf
I
L’oiseau, de tous nos consanguins le plus ardent à vivre, mène aux confins du jour un singulier destin. Migrateur, et hanté d’inflation solaire, il voyage de nuit, les jours étant trop courts pour son activité. Par temps de lune grise couleur du gui des Gaules, il peuple de son spectre la prophétie des nuits. Et son cri dans la nuit est cri de l’aube elle-même : cri de guerre sainte à l’arme blanche.
Au fléau de son aile l’immense libration d’une double saison ; et sous la courbe du vol, la courbure même de la terre… L’alternance est sa loi, l’ambiguïté son règne. Dans l’espace et le temps qu’il couvre d’un même vol, son hérésie est celle d’une seule estivation. C’est le scandale aussi du peintre et du poète, assembleurs de saisons aux plus hauts lieux d’intersection.
Ascétisme du vol !... L’oiseau, de tous nos commensaux le plus avide d’être, est celui-là qui, pour nourrir sa passion, porte secrète en lui la plus haute fièvre du sang. Sa grâce est dans la combustion. Rien là de symbolique : simple fait biologique. Et si légère pour nous est la matière oiseau, qu’elle semble, à contre- feu du jour, portée jusqu’à l’incandescence. Un homme en mer, flairant midi, lève la tête à cet esclandre : une mouette blanche ouverte sur le ciel, comme une main de femme contre la flamme d’une lampe, élève dans le jour la rose transparence d’une blancheur d’hostie… Aile falquée du songe, vous nous retrouverez ce soir sur d’autres rives !
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Ce qui suit est un Extrait d'un document en pdf : Analyse du Laconisme de l’aile de Kaija Saariaho par Célestine Wacquez (qu'on peut trouver à cette adresse :
https://www.sbam.be/CelestineWacquez.pdf
(Classe d’analyse B3 de M.Jean-Marie RENS année 2017-2018-Conservatoire Royal de Liège) :
Biographie de KaijaSaariaho
Photo @Priska_Ketterer.
Née Kaija Anneli Laakkonen en 1952 à Helsinki dans une famille de non- musiciens, Kaija Saariaho développe très tôt une sensibilité profonde pour la musique et pratique plusieurs instruments tels que le violon, le piano ou l’orgue. A partir de 1976, elle étudie à l’Académie Sibélius aux côtés du compositeur moderniste Paavo Heininen tout en suivant en parallèle des cours de musicologie et d’arts plastiques, avant qu’elle ne décide de se consacrer entièrement à la composition. C’est également durant cette période qu’elle fonde le groupe « Korvat Auki » (« Les oreilles ouvertes ») en compagnie de jeunes compositeurs finnois comme Esa Pekka Salonen ou Magnus Lindberg afin de promouvoir la musique contemporaine en Finlande.
Elle poursuit ses études musicales à Freiburg auprès de Brian Ferneyhough et de Klaus Huber et participe dès 1980 aux cours d’été de Darmstadt. C’est là qu’elle découvre les travaux spectralistes des français Gérard Grisey et Tristan Murail qui vont avoir un impact énorme sur son œuvre : leurs recherches basées sur l’analyse spectrale du son l’inspirent et lui permettent de s’éloigner de l’approche moderniste complexe défendue par ses professeurs pour développer une musique plus instinctive, en travaillant sur le timbre, les harmoniques, la microtonalité... En 1982, elle commence à travailler à L’IRCAM (Institut de Recherche et Création Acoustique/Musique), à Paris, où elle découvre les recherches électroniques et électro-acoustiques qui y sont menées. Tout cela lui permet d’aller encore plus loin dans le développement de son univers musical en mélangeant instruments live et tape ou électronique live, sans frontière distincte entre les deux éléments : l’électronique joue bien souvent un rôle d’amplificateur de la palette d’effets de l’instrument, créant une sorte de halo entre le monde réel et l’irréel. Les découvertes électroniques lui ouvrent également de nouvelles pistes dans sa manière de composer de la musique acoustique.
Depuis lors, elle s’est installée à Paris mais continue de beaucoup voyager à travers le monde pour partager sa musique. Tout au long de sa carrière, elle a travaillé en étroite collaboration avec certains artistes : l’écrivain Amin Maalouf, la flûtiste Camilla Hoitenga, le violoncelliste Anssi Karttunen ou encore le pianiste Emmanuel Ax.
La flûte et le violoncelle font partie de ses instruments de prédilection.
Style d’écriture
L’écriture de Saariaho s’inscrit dans la lignée du spectralisme, avec un intérêt très marqué pour le timbre1 : elle utilise le principe « d’axe timbral », où « une texture bruitée et grenue serait assimilable à la dissonance, alors qu’une texture lisse et limpide correspondrait à la consonance ». Cette approche est similaire à la notion de « tension- détente » présente dans la musique tonale et, si elle la traduit d’abord par le timbre, elle rajoutera plus tard d’autres éléments comme le rythme (opposition entre des cellules répétitives et mono-rythmiques avec des polyrythmes plus irréguliers) ou encore l’harmonie (en fonction de la densité par exemple). Elle-même disait: ‘Pour qualifier les conceptions traditionnelles des fonctions respectives du timbre et de l'harmonie, je dirais que la notion de timbre est considérée comme verticale et celle de l'harmonie comme horizontale. En revanche, lorsqu'on emploie le timbre pour créer la forme musicale, c'est précisément le timbre qui prend la place de l'harmonie comme élément progressif de la musique. On peut aussi dire que ces deux éléments se trouvent confondus l'un dans l'autre lorsque le timbre devient un constituant de la forme et lorsque l'harmonie en revanche se limite à conditionner la sonorité générale ’. En se basant sur l’analyse et la transcription de l’évolution des spectres de sons instrumentaux dans le temps, elle établit les différentes articulations de l’œuvre autour de cette notion de tension-détente.
(1 Le timbre est le résultat perçu par l’oreille humaine de la superposition des innombrables harmoniques (ou partiels) aux rapports plus ou moins simples avec la fréquence fondamentale du son qu’ils composent. (cfr https://fr.wikipedia.org/wiki/Timbre_(musique)) ) 
Elle entretient également un lien particulier avec le texte : elle a écrit plusieurs opéras en collaboration avec des écrivains, des œuvres vocales, mais on retrouve aussi cet amour pour le langage dans certaines de ses pièces instrumentales dans lesquelles texte et musique s’inspirent mutuellement et dans lesquelles l(es) instrumentiste(s) doivent parfois réciter des extraits du texte, ou utiliser la voix (comme dans « le laconisme de l’aile » notamment, mais aussi dans « NoaNoa », inspiré de carnets de voyage de Gauguin par exemple).
« Le laconisme de l’aile » (1982) Informations générales
La pièce pour flûte seule et électroniques optionnelles, d’une durée d’environ 10 minutes, fut créée en 1983 à Freiburg par Anne Raitio. Saariaho s’est inspirée d’un texte de Saint-John Perse, poète et écrivain français et prix Nobel de littérature en 1960.
Il s’agit d’un extrait de son recueil « Oiseaux » :
« Ignorants de leur ombre, et ne sachant de mort que ce qui s’en consume d’immortel au bruit lointain des grandes eaux, ils passent, nous laissant, et nous ne sommes plus les mêmes. Ils sont l’espace traversé d’une seule pensée. Laconisme de l’aile ! »
Ce recueil fut le fruit d’une commande qu’il réalisa pour accompagner un album de lithographies de Georges Braque en 1962
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Extrait de "Poésie", allocution de SJP au banquet Nobel du 10 décembre 1960.
"Par la pensée analogique et symbolique, par l'illumination lointaine de l'image médiatrice, et par le jeu de ses correspondances, sur mille chaînes de réactions et d'associations étrangères, par la grâce enfin d'un langage où se transmet le mouvement même de l'Etre, le poète s'investit d'une surréalité qui ne peut être celle de la science. Est-il chez l'homme plus saisissante dialectique et qui de l'homme engage plus ? Lorsque les philosophes eux-mêmes désertent le seuil métaphysique, il advient au poète de relever là le métaphysicien ; et c'est la poésie alors, non la philosophie, qui se révèle la vraie "fille de l'étonnement", selon l'expression du philosophe antique à qui elle fut le plus suspecte. Mais plus que mode de connaissance, la poésie est d'abord mode de vie - et de vie intégrale.
Le poète existait dans l'homme des cavernes, il existera dans l'homme des âges atomiques parce qu'il est part irréductible de l'homme. De l'exigence poétique, exigence spirituelle, sont nées les religions elles-mêmes, et par la grâce poétique, l'étincelle du divin vit à jamais dans le silex humain. Quand les mythologies s'effondrent, c'est dans la poésie que trouve refuge le divin ; peut-être même son relais. Et jusque dans l'ordre social et l'immédiat humain, quand les Porteuses de pain de l'antique cortège cèdent le pas aux Porteuses de flambeaux, c'est à l'imagination poétique que s'allume encore la haute passion des peuples en quête de clarté. "