Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Yves Bonnefoy Rencontre avec Yves Bonnefoy : émission de la radio tchèque

Entretien à la radio tchèque , Yves Bonnefoy ayant 82 ans

Quelles sont les sources de votre poésie?

"Vous me posez une question beaucoup trop difficile pour que je puisse vous répondre ainsi en quelques mots. Le passage des années me convainc toujours plus qu'on ne peut parler sérieusement qu'en réfléchissant beaucoup et plutôt en écrivant qu'en parlant de vive voix car parler, c'est une façon de s'oublier. Écrire c'est plutôt une façon de se souvenir de soi . Alors, quant aux sources de ma poésie que pourrais-je vous dire? D'une part la langue française elle-même qui contient comme un grand paysage mille formes de reliefs, de créations, d'aspects atmosphériques. Notre poésie est une terre verbale et j'en suis l'héritier. Quand à savoir de qui je suis plus au moins directement la conséquence, on en reparlera plus tard."

On dit que vous avez été beaucoup influencé par Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé. Est-ce que vous vous considérez comme le successeur de ces poètes?

"Je voudrais bien. Effectivement Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé et j'ajouterais encore Gérard de Nerval, ce sont des sources, en effet, c'est bien le mot, auxquelles on peut revenir constamment. Ils ont, en fait, accompli la véritable révolution poétique de notre modernité. C'est eux qui ont compris les besoins, et les moyens, et les pouvoirs et les espérances aussi de la poésie véritablement moderne. C'est à eux qu'on doit toujours demander conseil, si je puis dire

Dans quelle mesure avez-vous été influencé et marqué par l'aventure surréaliste?

"Certainement elle a beaucoup compté pour moi. Elle s'inscrit d'ailleurs à mes yeux dans le droit fil des quatre poètes que vous venez de signaler. André Breton qui était la figure la plus importante et peut être même la seule figure importante du surréalisme, avait par rapport aux quatre poètes la plus grande affection et la plus grande attention, et le surréalisme forme un tout avec cette poésie renouvelée dont nous parlons. C'est ça notre véritable origine."

Le surréalisme a joué un grand rôle aussi dans la poésie tchèque. Les surréalistes tchèques ont rompu finalement avec les surréalistes français et André Breton. Mais cette rupture a eu des connotations politiques à la veille de la Deuxième Guerre mondiale.

Pourquoi vous avez rompu avec André Breton?

"Je n'ai pas rompu avec André Breton moi personnellement. J'ai simplement , à un moment donné , refusé une certaine direction ésotérique et pseudo-mystique qui me paraissait dangereuse pour la poésie. Mais ce n'était pas pour autant une façon de rompre avec André Breton pour lequel j'ai toujours gardé la plus grande sympathie et j'ai même fini par écrire, il y a trois ou quatre ans, un petit livre sur lui qui montre, je crois, de façon tout à fait claire mon profond attachement à son oeuvre. "

On connaît votre profond intérêt pour l'art de la Renaissance et l'art baroque. Est-ce que cet intérêt s'est manifesté dans votre poésie?

"Je pense que toute notre poésie moderne est la fille de la Renaissance dans la mesure où la Renaissance a été aussi le retour de la grande poésie du monde antique et c'est de cet imaginaire-là, imaginaire associé à la réalité naturelle, associé à la vie naturelle , physiquement naturelle, c'est à tout ce passé antérieur au christianisme que nous devons la plus grande richesse de notre intuition poétique. Dans ces conditions, il n'y a rien de directement associable à la Renaissance dans ce que j'ai écrit, mais je suis sûr que ce que j'écris n'existerait pas s'il n'y avait pas eu la Renaissance, et en particulier la Renaissance italienne, c'est-à-dire l'architecture, une relation avec l'unité à travers les nombres qui a beaucoup compté pour moi."

Vous avez écrit aussi un ouvrage sur l'art baroque "Rome, 1630". Vous vous trouvez maintenant à Prague et Prague aussi est une ville baroque. Comment vous voyez le baroque de Prague?

"Le baroque de Prague est très différent du baroque romain. Il est moins métaphysique, c'est-à-dire qu' il cherche moins à poser, dans chacune de ses constructions, le problème fondamental du rapport de l'existence et de l'unité, du divin, mais en tant qu'occupation des lieux, en tant que construction d'une ville, en tant qu'aménagement de la réalité quotidienne, de la réalité vécue, il est incomparable, et j'y suis extrêmement attaché. Je l'admire beaucoup."

Est-ce que les poètes et les écrivains pragois de langue tchèque ou de langue allemande ont joué un rôle dans votre création littéraire ?

"Non, malheureusement parce que je ne connais pas la langue tchèque ni la langue allemande et on n'a de véritables rapports profonds qu'avec les auteurs que l'on peut lire dans leur propre langue. Bien sûr j'ai lu Hölderlin, Kafka, Rilke et d'autres, mais à part Kafka, parce qu'il y a dans son oeuvre une problématique fondamentalement universelle, à part Kafka , je n'ai pas de relations profondes avec les auteurs de l'Europe centrale. Si, quand même, Hofmannsthal. Vous voyez je pense en parlant : Kafka et Hofmannstahl."