AUX ARBRES
Vous qui vous êtes effacés sur son passage,
Qui avez refermé sur elle vos chemins,
Impassibles garants que Douve même morte
Sera lumière encore n'étant rien.
———————————
Vous fibreuse matière et densité,
Arbres proches de moi quand elle s'est jetée
Dans la barque des morts et la bouche serrée
Sur l'obole de faim, de froid et de silence.
———————————
J'entends à travers vous quel dialogue elle tente
Avec les chiens, avec l'informe nautonier,
Et je vous appartiens par son cheminement
À travers tant de nuit et malgré tout ce fleuve.
————————————
Le tonnerre profond qui roule sur vos branches,
Les fêtes qu'il enflamme au sommet de l'été
Signifient qu'elle lie sa fortune à la mienne
Dans la médiation de votre austérité.
Du mouvement et de l'immobilité de Douve
:::;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;
Extrait (introduction)de Étude du poème d'Yves Bonnefoy« Aux arbres » , texte complet : ICI
"En 1953, Yves Bonnefoy publie un recueil au titre énigmatique, Du mouvement et de l'immobilité de Douve. En lisant ce recueil, on comprend que le nom de Douve désigne la femme aimée, et que cette femme est morte. Dès lors, les termes de mouvement et d'immobilité paraissent évoquer l'opposition entre sa vie et sa mort, et la forme grammaticale, comme le sens de ces deux termes, annoncent une réflexion abstraite sur la relation entre ces deux moments d'un être particulier et aimé. Tout se passe comme si, par une sorte de défi, le poète entendait construire, suivant les catégories de l'espace et du mouvement, une approche philosophique de ce qui n'a pas de concept, la mort, et a fortiori la mort de l'être aimé : comment penser le fait singulier de la mort de Douve et le fait général de la mort ? C'est un moment crucial de cette approche que le poème « Aux arbres » présente ici à notre propre réflexion."