Écoutez
La maison natale (suite et fin)
IX
Et alors un jour vint
Où j’entendis ce vers extraordinaire de Keats,
L’évocation de Ruth « when sick for home,
She stood in tears amid the alien corn ».
Or, de ces mots
Je n’avais pas à pénétrer le sens
Car il était en moi depuis l’enfance,
Je n’ai eu qu’à le reconnaître, et à l’aimer
Quand il est revenu du fond de ma vie.
Qu’avais-je eu, en effet, à recueillir
De l’évasive présence maternelle
Sinon le sentiment de l’exil et les larmes
Qui troublaient ce regard cherchant à voir
Dans les choses d’ici le lieu perdu?
X
La vie, alors ; et ce fut à nouveau
Une maison natale. Autour de nous
Le grenier d’au-dessus l’église défaite,
Le jeu d’ombres léger des nuées de l’aube,
Et en nous cette odeur de la paille sèche
Restée à nous attendre, nous semblait-il,
Depuis le dernier sac monté, de blé ou seigle,
Dans l’autrefois sans fin de la lumière
Des étés tamisés par les tuiles chaudes.
Je pressentais que le jour allait poindre,
Je m’éveillais, et je me tourne encore
Vers celle qui rêva à côté de moi
Dans la maison perdue. A son silence
Soient dédiés, au soir,
Les mots qui semblent ne parler que d’autre chose.
(Je m’éveillais,
J’aimais ces jours que nous avions, jours préservés
Comme va lentement un fleuve, bien que déjà
Pris dans le bruit des voûtes de la mer.
Ils avançaient, avec la majesté des choses simples,
Les grandes voiles de ce qui est voulaient bien prendre
L’humaine vie précaire sur le navire
Qu’étendait la montagne autour de nous.
O souvenir,
Elles couvraient des claquements de leur silence
Le bruit, d’eau sur les pierres, de nos voix,
Et en avant ce serait bien la mort,
Mais de cette couleur laiteuse du bout des plages
Le soir, quand les enfants
Ont pied, loin, et rient dans l’eau calme, et jouent encore.)
XI
Et je repars ,et c'est sur un chemin
Qui monte et tourne , bruyère , dunes
Au-dessus d'un bruit encore invisible , avec parfois
Le bien furtif du chardon bleu des sables .
Ici le temps se creuse , c'est déjà
L'eau éternelle à bouger dans l'écume .
Je suis bientôt à deux pas du rivage .
Et je vois qu'un navire attend au large
Noir , tel un candélabre à nombre des branches
Qu'enveloppent des flammes et des fumées .
Qu'allons-nous faire ? crie-t-on de toutes parts ,
Ne faut-il pas aider ceux qui là-bas
Nous demandent rivage? oui, clame l’ombre,
Et je vois des nageurs qui, dans la nuit,
Se portent vers le navire. soutenant
D’une main au- dessus de l’eau agitée
Des lampes, aux longues banderoles de couleur.
La beauté même, en son lieu de naissance,
Quand elle n’est encore que vérité.
XII
"Beauté et vérité , mais ces hautes vagues
Sur ces cris qui s'obstinent . Comment garder
Audible l'espérance dans le tumulte ,
Comment faire pour que vieillir , ce soit renaître ,
Pour que la maison s'ouvre , de l'intérieur ,
Pour que ce ne soit pas que la mort qui pousse
Dehors celui qui demandait un lieu natal .
Je comprends maintenant que ce fût Cérès
Qui me parut, de nuit, chercher refuge
Quand on frappait à la porte, et dehors,
C'était d'un coup sa beauté, sa lumière
Et son désir aussi, son besoin de boire
Avidement au bol de l'espérance
Parce qu'était perdu mais retrouvable
Peut-être, cet enfant qu'elle n'avait su,
Elle pourtant divine et riche de soi,
Soulever dans la flamme des jeunes blés
Pour qu'il ait rire, dans l'évidence qui fait vivre,
Avant la convoitise du dieu des morts.
Et pitié pour Cérès et non moquerie,
Rendez-vous à des carrefours dans la nuit profonde ,
Cris d'appels au travers des mots , même sans réponse ,
Parole même obscure mais qui puisse
Aimer enfin Cérès qui cherche et souffre .