Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Yves Bonnefoy Rencontre avec Yves Bonnefoy : Le peintre dont le nom est la neige

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Le peintre dont le nom est la neige

I

Quelle pourpre là-bas, du côté effondré du ciel !

La neige est donc venue cette nuit avec dans ses mains la couleur.

Tout ce qu’elle répand se nomme silence.

Adam et Ève passent sur le chemin, chaudement vêtus. Leurs pas ne font aucun bruit dans la neige qui couvre l’herbe.

Et la brume écarte pour eux de légers rideaux, c’est une salle parmi les arbres, puis c’en est une autre et une autre encore.

Un écureuil s’ébroue, de trop de lumière.

Personne n’est jamais venu dans ces bois, pas même celui qui donne nom et s’angoisse d’avoir donné nom et en meurt,

Dieu qui n’est plus que la neige.

II

Ce peintre qui est penché sur sa toile, je le touche à l’épaule, il sursaute, il se retourne, c’est la neige.

Son visage est sans fin, ses mains sans nombre, il se lève, il passe à gauche et à droite de moi, et au-dessus de moi par milliers de flocons qui se font de plus en plus serrés, de plus en plus clairs. Je regarde derrière moi, c’est partout la neige.

Son pinceau : une fumée de la cime des arbres, qui se dissipent, qui le dissipent.

III

Et à des moments je ne vois plus rien que ma chaussure qui troue la blancheur crissante. Le bleu vif des lacets, l’ocre de la toile, de grain serré, les marques brunes qu’y laisse la neige qui s’en détache dès que mon pas s’en dégage pour me porter en avant, dans des remous de lumière.

Le peintre qui se nomme la neige a bien travaillé, ce matin encore. Il a rajeuni le dessin des branches, le ciel est un enfant qui court en riant vers moi, je resserre autour de son cou la grosse écharpe de laine.

“Le peintre dont le nom est la neige,” La longue chaîne de l’ancre (Mercure de France, © 2008, pp. 81-83)

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Le même lieu un 23 mai

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