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Rencontre avec René Char Rencontre avec René Char(1907-1988) : Effacement du peuplier

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Effacement du peuplier

L'ouragan dégarnit les bois .

J'endors, moi, la foudre aux yeux tendres .

Laissez le grand vent où je tremble

S'unir à la terre où je croîs .


Son souffle affile ma vigie .

Qu'il est trouble le creux du leurre

De la source aux couches salies!


Une clé sera ma demeure ,

Feinte d'un feu que le coeur certifie ;

Et l'air qui la tint dans ses serres .

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JEAN STAROBINSKI pages 27 et 28 , fin de l’article «  René Char et la définition du poème » paru dans la revue « Liberté » vol.10 no4 1968 p.13-28) écrit :

Relisons Effacement du Peuplier (Retour Amour 1966) , ce texte si laconique et si spacieux, où non seulement les quatre éléments trouvent place, mais encore la vérité et le leurre, la violence et la tendresse, la nature et l'homme unis :

L'ouragan est liberté déchaînée, avec le flux inépuisable du vent et la brûlure de la foudre. Mais l'arbre endurant, dans sa croissance obstinée, endort la foudre: elle est nommée «la foudre aux yeux tendres», la douceur s'y mêle à la violence. Si nous écoutons l'injonction de l'arbre, la furie mouvante de l'ouragan s'unira à la terre immobile. L'arbre appartient à la fois à l'air et à la terre. Le conflit des éléments lui inflige sa passion, mais il en est en même temps le conciliateur. Il est debout, amarré au sol stable, et il tremble au gré de l'ouragan. Son frémissement est l'indice de sa double appartenance. Car trembler est un mouvement statique, où s'exprime à la fois l'obéissance à la terre et l'obéissance au vent. Ainsi le peuplier participe au flux vagabond et demeure prisonnier de son site. Dans sa verticalité agitée, par sa cime dressée au cœur du tumulte aérien, le peuplier refuse le destin paresseux de la source: le signe de l'altitude en éveil (la «vigie») s'oppose à l'image d'une trouble origine mêlée à l'humus. (La figure de l'arbre dressé dans l'air tumultueux s'apparente à d'autres figures de la liberté: celle, notamment, de la rame dans l'océan.) «Une clé sera ma demeure». La parole de l'arbre devient ici celle du poète. Car le poète est l'homme de l'ouverture,celui qui refuse de s'établir. «Une clé sera ma demeure» : cette parole peut sembler énigmatique; le laconisme de Char rejoint l'emblème et la devise; la parole ne laisse pas déchiffrer immédiatement son parti singulier et sa portée universelle. Elle n'attend cependant qu'une patience et un appui de notre regard pour s'illuminer. Et l'on découvre qu'elle définit le lieu de la poésie et qu'elle fait appel, une fois encore, à l'union des contraires. Char nous dit fortement que la seule demeure du poète est l'instrument du passage, ce par quoi un seuil peut être franchi. («Epouse et n'épouse pas ta maison» , dit-il ailleurs (Feuilles d’Hypnos 34 , Fureur et Mystère , 1965 , p.130). Le poème est cette clé, — une clé qui nous libère,nous lecteurs, — tandis que le poète reste assigné à sa veillée.
Or la clé a reçu forme «d'un feu que le cœur certifie», et, d'autre part, elle appartient aussi à la force souveraine du vent («qui la tint dans ses serres»). Comment mieux dire que le poème, chose feinte, objet imaginaire, a pour garant de sa vérité le feu intérieur de l'homme et la royauté extérieure du vent? Qu'ainsi, sous ce double auspice, la parole poétique ne peut nous égarer, si loin qu'elle nous conduise de nos logis paresseux? Le poème, mince et forte clé, nous donne une plus ample demeure sous le ciel commun; il nous fait accéder à ce foyer instantané «où la beauté, après s'être longtemps fait attendre, surgit des choses communes, traverse notre champ radieux, lie tout ce qui peut être lié, allume tout ce qui doit être allumé de notre gerbe de ténèbres» (Recherche de la base et du sommet,1965,p.130.).

JEAN STAROBINSKI pages 27 et 28 , fin de l’article «  René Char et la définition du poème » paru dans la revue « Liberté » vol.10 no4 1968 p.13-28)

L'article complet est disponible : ICI

Commentaires 2

  • suzâme

    Bonjour,
    D'une anthologie à votre site, j'ai découvert cet éclat de poésie. Je me suis permise de publier votre lien dans mon groupe Lettres à un arbre sur Facebook afin de partager également votre interprétation. Cordialement.

  • encrier

    Merci pour votre visite.
    Je vous signale qu'un poème de Gabriela Mistral(lauréate 1945 su pRIX NOBEL) : Hymne à l'arbre pourrait intéresser votre groupe. Je l'ai mis sur mon site avec une illustration de Marianne Clouzot : à l'adresse ci-jjointe :

    http://encrier87.fr/textes/index.php?q=gabriela+mistral

    Par ailleurs , j'ai retrouvé un texte "Arbre promeneur"   dont j'ai perdu le nom de l'auteur/ je vous le soumets ci-dessous connaissez vous ,(vous ou quelqu'un de votre groupe), ce texte  et surtout le nom de l'auteur

     

    Arbre promeneur

     

    On dit qu’un jour, il y a de cela bien longtemps, bien avant que la Terre eût décidé d’enraciner les arbres, l’un d’entre eux s’ennuyait dans la forêt où il était né.

     

    Ce n’est pas qu’elle était laide, non, pas du tout. De nombreuses essences y croissaient paisiblement, admirant tour à tour le Soleil qui réchauffait leurs jours et la Lune qui ensongeait leurs nuits.

     

    De temps à autre, bien plus souvent qu’on l’imagine, un oiseau se posait sur l’un ou l’autre, y bâtissait son nid, et le cycle de la vie reprenait, plus rapide, plus tendre aussi.

     

    Celui qui avait été choisi se gonflait d’importance, même si, convenez-en, il n’y avait pas là de quoi s’enorgueillir ainsi.

     

    Mais lui… lui, le héros de notre histoire, n’avait jamais su tendre assez loin ses branches : aucun de ces oiseaux n’avait daigné y faire simplement halte un moment.

     

    Il se morfondait.

     

    Un jour, il s’amputa de l’une d’entre elles pour que, dans le trou béant qu’elle laissait, au moins un écureuil s’attarde…

     

    Ce fut peine perdue. Aucun animal ne grimpa jusqu’à l’abri offert.

     

    L’arbre était solitaire et il le resterait.

     

    Il se mit à insulter le soleil et la lune, jusqu’à la plus petite étoile dont les rires étaient telles des banderilles qu’on lui dardait du ciel.

     

    Une nuit, alors qu’un nuage complice avait masqué la forêt et ses habitants, il s’échappa du cercle dont il se sentait tellement prisonnier.

     

    Il franchit chacun des obstacles que la Terre avait dressés entre lui et la liberté.

     

    En sortant du couvert des plus grands arbres, le vent qui se levait le surprit. Jamais notre héros n’avait eu à subir un assaut si violent.

     

    Il faillit choir et aurait eu, sûrement, bien du mal à se redresser. Il n’avait pas l’habitude. Il devait maintenant apprendre à marcher seul, et c’était un apprentissage bien difficile auquel il n’avait pas pensé.

     

    Dans la forêt, les arbres s’agrippaient les uns aux autres, les plus forts soutenant les plus faibles. C’était ainsi depuis la nuit des temps.

    Il se courba un peu et poursuivit sa route.

     

    Il ignorait où elle le menait, d’où elle venait… mais pour lui rien n’avait d’importance. Rien d’autre que cette griserie qu’il sentait monter du plus profond de son être.

     

    Il était libre d’aller et de venir, il pourrait même rebrousser chemin si c’était nécessaire.

     

    On dit…

    On dit qu’il avança longtemps, apprenant peu à peu à ne pas avoir peur de l’inconnu qui se présentait parfois et qui l’obligeait à suspendre sa marche pour un moment, un jour, ou peut-être une année… Qui saurait mesurer le temps de l’arbre ?

     

    On dit…

    On dit qu’il découvrit enfin que le monde n’avait pas de limites, que chaque jour était différent.

     

    Il apprivoisa la lumière, le vent… Il perdit peu à peu l’inutile, l’accessoire, pour ne garder que l’essentiel.

     

    On dit que seuls les doux rêveurs peuvent le voir passer, et même le rejoindre en suivant ses traces dans la neige ou sur la mousse.

     

    Et, vous savez quoi ? Celui qui se fait désormais appeler “L’homme de bois” sait alors tendre les bras et vous y accueillir doucement, comme si vous étiez un oiseau ou un petit enfant. Il vous berce en chantonnant l’hymne que lui a offert la Terre, pas rancunière pour deux sous.

     

    Elle a, depuis, enraciné les arbres, vous le savez tous, mais cet arbre-là lui tient bien trop à cœur pour qu’elle lui ait ôté une liberté si chèrement gagnée.

     

     

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