Association Encrier - Poésies

Quelques textes des ateliers d'écriture d'Encrier87 à Limoges Texte de Martine reçu le 31 mars 2020 : Souvenirs de Limoges

Nous venons de recevoir ces textes de Martine , qui a participé à nos ateliers il y a quelques années . Elle nous a autorisés à les publier sur notre site : nous l'en remercions vivement

Souvenirs de Limoges

Quand je pense à Limoges, où j’ai passé presque trois ans, trois souvenirs me reviennent immédiatement à la mémoire, toujours les mêmes et toujours se suivant.

Mon petit-fils paisible dans sa poussette, j’attendais à un feu rouge que le « petit bonhomme » sur le trottoir d’en face passe au vert. Un homme arriva de la rue de la poste, et se mit à attendre aussi, près du bonhomme en rouge. Je m’étonnai car il n’y avait aucune circulation, pas même au loin, là-bas où le boulevard de la Paix rejoint celui qui longe la Vienne. Et la rue devant laquelle nous nous trouvions, l’homme et moi, n’était vraiment pas large. Quelques pas et il aurait traversé. Pourquoi ne le faisait-il pas ? Car si, quand je promenais mon petit-fils, je faisais toujours très attention, au point d’attendre ainsi bêtement au bord d’un trottoir alors qu’aucune voiture ni bicyclette n’apparaissait à l’horizon, quelle raison avait-il, lui, d’attendre ? Je le regardai encore : cinquante-soixante ans, costaud sans l’être trop, habillé correctement, donnant l’impression d’être tout à fait stable sur ses pieds. Le petit bonhomme continuait d’être rouge et une fois de plus cela me semblait interminable, mais j’attendais toujours, même si c’était toujours le désert autour de nous. Normal après tout: trois heures de l’après-midi et un jour de semaine, les gens sont au travail... Enfin le bonhomme passa au vert, j’avançai avec la poussette, m’apprêtant à dire bonjour d’un signe de tête à l’homme qui traversait aussi quand, alors que, nous croisant, nous étions à un mètre environ l’un de l’autre, je l’entendis dire, sur un ton simple, bas, mais parfaitement clair : « Merci pour lui », et mon coeur en fut illuminé. Il ne s’est pas arrêté, je ne me suis pas retournée, nous ne nous sommes jamais revus. Je ne sais donc pas qui est ce homme. Mais quand je pense aux années passées à Limoges, c’est toujours lui qui vient en premier. Il a illuminé mon coeur, oui, en reconnaissant de cette façon, si simple et si nette à la fois, ce que je faisais pour cet enfant, ce que je fais toujours pour tout enfant confié à ma garde, et que je continue de formuler en moi-même ainsi : « risque zéro, tout simplement ».

La deuxième personne qui vient ensuite à ma mémoire, c’est un autre homme. Grand, droit, mince, soixante-soixante-cinq ans, que je voyais presque toujours emmenant dans sa poussette sa petite-fille d’un an environ, autant que j’en pouvais juger à la distance à laquelle j’étais. Car il descendait toujours comme moi l’avenue du midi mais sur le trottoir d’en face, si bien que je finis par conclure qu’il habitait plus haut dans l’avenue, ou dans une rue donnant sur celle-ci, mais du côté droit en descendant. Lui ou les parents de l’enfant qu’il emmenait en promenade. Toujours est-il que j’avais toujours plaisir à le voir. Il dégageait une sorte de calme et de simplicité, marchant de façon tranquille et cependant tonique, sans jamais se pencher pour dire des mièvreries à l’enfant, parfaitement « normal », si je puis dire, dans son rôle de grand-père. Un jour, me demandant pourquoi j’appréciais tant de le voir (je le voyais une ou deux fois par semaine), je finis par penser que c’était son aura qui me parvenait depuis l’autre côté de la rue et me faisait du bien. Un jour cependant je pris conscience que je ne l’avais pas vu depuis longtemps, un mois ou plus. Avait-il, lui ou les parents de l’enfant, déménagé ? N’était-il venu à Limoges que pour un séjour de quelques mois ? Ne les verrai-je plus, lui et l’enfant ? J’en fus attristée, mais que pouvais-je faire ? Trois mois environ après pourtant, comme j’attendais mon tour à un étal de fruits et légumes un samedi matin au marché rue Haute-Vienne, je le vis arriver avec la poussette, sa petite-fille dedans. Et comme il vint prendre son tour à ce même étal, je pus enfin voir l’enfant de plus près. C’était une petite fille blonde d’un an et demi ou deux, toute mignonne et qui, lorsqu’il s’arrêta, voulut descendre de la poussette. Il la détacha alors, sans agacement, lui disant simplement de ne pas aller trop loin. Elle alla jusqu’au bout de l’étal, soit deux ou trois mètres un peu plus bas et se retourna, toute souriante, ravie visiblement de s’être donnée un peu de mouvement. On me servait maintenant. Une ou deux minutes encore et il l’appela. Elle revint aussitôt, il la réinstalla dans la poussette et tout se passa ainsi, sans le moindre heurt, la moindre protestation. J’eus beau traîné un peu dans mes demandes, il fallut bien payer, quitter l’étal et même le marché car je ne voulais pas avoir l’indiscrétion d’attendre et de les suivre ensuite un moment. Et cette fois ce fut la dernière fois que je les vis car bientôt c’est moi qui déménageai.

J’en viens à la troisième personne.


Elle se dirigeait vers la poste et j’avançais sur le même trottoir mais en sens contraire c’est-à-dire en allant vers l’avenue du Midi tandis qu’elle en venait. Je ralentis, pour ne pas avoir à la saluer, et la regardai simplement. Elle avançait, droite, lente, posée, en robe grise de moine zen beaucoup moins voyante que l’ample kimono noir dans lequel je la voyais habituellement. Habituellement ? Hélas non, car mon dos et d’autres difficultés ne m’avait permise que quelques fois d’aller au centre zen de l’avenue du Midi pour participer, assise, à la méditation. Mais donc je la regardai, admirant sa marche et aujourd’hui encore, plusieurs années après, dans cette autre ville où j’habite, si je pense soudain à elle en marchant, je ralentis aussitôt, me redresse et tente de marcher, comme on dit, en conscience.


La personne qui avançait ainsi sur le trottoir est Hosetsu Laure Scemama, dirigeante alors (peut-être encore) du centre zen de Limoges et disciple du maître Taisen Deshimaru, dans le dojo duquel, il y a longtemps à Paris, je commençai de pratiquer la méditation. Elle était bienveillante et avait compris, je pense, mes difficultés à venir aux méditations, dues comme je l’ai dit à des douleurs physiques mais aussi au fait que les séances avaient lieu à des heures peu compatibles avec celles pendant lesquelles j’étais utile pour la garde de mes petits-enfants. Mais elle était bienveillante, donc, et de cette bienveillance j’eus la preuve après mon déménagement. Un ou deux mois après celui-ci en effet, j’envoyai une carte au Centre, disant que j’avais déménagé, ne pourrai donc plus venir au Centre, mais remerciai pour tout l’accueil que j’y avais reçu. Silence d’abord mais, peu avant Noël, je reçus un courriel du Secrétaire du Centre, me disant que Hosetsu Laure Scemama avait demandé qu’on m’envoie un courrier, aussi pouvais-je leur donner ma nouvelle adresse ? (Je ne l’avais pas indiquée sur la carte, précisément pour n’obliger personne à me répondre). J’envoyai donc mon adresse bien sûr, et reçus pour la nouvelle année une carte « zen » du Centre, signée simplement, sous les vœux, par Hosetsu Laure Scemama elle-même.


Tout l’art de la bienveillance me parut être là. Dans l’attention mais aussi dans le juste, le « rien de trop. »


Et peut-être avant de quitter ce dernier souvenir puis-je parler de la présence de Bouddha dans notre espace actuel, car lui aussi est venu de Limoges .


La jeune femme qui y habitait encore venait de nous faire visiter l’appartement en rez-de-chaussée que nous souhaitions louer à sa suite et, pour finir, ouvrit une des portes-fenêtres donnant sur le jardin faisant partie de la location.

Dehors, sur un des murets de pierre séparant la partie en herbe surélevée d’un mètre environ par rapport au large espace de graviers s’étendant depuis le bas des portes-fenêtres, une statue de Bouddha était posée là, haute de cinquante centimètres à peu près, gris sombre et tournée vers l’immeuble. Un réflexe me fit demander, en souriant, si la statue restait là, avec le jardin. La jeune femme sourit à son tour, dit que cette statue lui appartenait et qu’elle pensait l’emmener dans son nouvel appartement mais que, si je voulais, elle la laisserait. Je dis non, bien sûr, que je ne souhaitais pas prendre sa statue de Bouddha à quiconque. Et je le pensais. Mais voilà que mon fils intervint en rentrant avec elle dans l’appartement et je ne sais ce qu’il lui dit mais, lorsque nous emménageâmes, la statue était là, sur le muret, au même endroit.

Nous avons alors commencé notre vie avec elle, l’ornant parfois (roses, pâquerettes, feuillage, cailloux, noisettes du jardin, petits objets, jouets…) mais l’oubliant aussi parfois pour de longues périodes (surtout par temps froid ou pluvieux), nul ne s’inquiétant de rituel quotidien ou autre chose de ce genre. Et tout se passa bien pour elle sauf une fois où le chiot Labrador arrivé dans la maison quelques mois auparavant mais devenu déjà une chienne forte et puissante la renversa d’un coup un jour en galopant comme une folle en rond dans le jardin. Heureusement elle tomba côté herbe et non côté graviers, un mètre plus bas... Remise en place, elle continua sa vie, toujours tournée vers l’immeuble. Puis vint le jour où décision fut prise d’un déménagement à Lyon et, intérieurement, je me résignai peu à peu à laisser la statue. Elle était au jardin, à l’immeuble plus qu’à moi, pensai-je.

Mais mon fils, sans rien dire, en décida autrement. Et c’est ainsi que, entrant dans ma nouvelle chambre à Lyon, toute préparée, je découvris la statue posée sur une petite table basse contre le mur faisant face au lit. Quel plaisir, quelle joie, je l’avoue... Et Bouddha continue donc de vivre avec nous, yeux baissés, souriant, silencieux, entouré de dessins d’enfants ou oublié pour un temps.