Encrier 87

Textes de Lilah Texte de Lilah du 2 novembre

En ces premiers jours de novembre, alors que les cimetières se mettent à vivre, tu n’entendras pas les mots qui vont suivre, ce bouquet de mots réparateurs qui ont mis tant d’années à fleurir, qu’elle s’offre, qu’elle t’offre…Elle ne sait pas où tu reposes .

L ‘enfant qu’elle était, tu l'as regardée, tu lui as parlé, tu l’as élue, toi l’homme au physique racé des gens du Sud, toi l’homme à la réussite sociale exemplaire, toi l’homme élégant aux costumes de soie faits sur mesure en Italie, toi l’artiste- peintre, toi l'adulé de toute la famille.

Tu étais pour elle l’ homme idéal, celui, elle l’imaginait, qui rendait jalouses ses copines quand tu venais l’attendre à la sortie du lycée et que tu lui tenais le bras dans la rue .

Elle t’attendait, elle attendait avec impatience ta venue . Tu arrivais de Paris par le Capitole, tard le soir . Elle devait te donner sa chambre, son lit, ses draps, et elle rejoignait le lit de sa grand-mère . Au fil des années, la vie lui a appris que derrière le masque de l'homme idéalisé se cachait un enfant tyrannique .

Elle a tellement voulu te garder qu’elle en est restée « petite » elle aussi, elle aimait tellement « se mettre entre tes mains pour que tu fasses d’elle ce qu’il te plaisait ! » :

Tu lui tatouais les bras, tu la déguisais, tu la photographiais , tu lui coupais les cheveux dans l’intimité de la chambre, à l’abri des regards des adultes de la famille qui tous, sans même s’en rendre compte; trouvaient normale cette relation et s’en réjouissaient.

Elle aimait sentir tes mains dans ses cheveux, même si après leur passage, se regardant dans la glace, elle ne savait pas si elle voyait une fille ou un garçon, à l’âge où les ados se cherchent . Tu ne t’intéressais qu'à l’androgénéité de l’enfance. Alors son désir de devenir femme s’est endormi .

Sa mère (ta soeur), sa grand-mère ( ta mère ) étaient les complices silencieuses de ce petit jeu qui a duré longtemps, elles t’aimaient tant … Elles aimaient si mal finalement !

Même son père, l’étranger au clan, n’a jamais dit mot, tu le fascinais lui aussi et il a abandonné sa fille dans la place que les femmes lui avaient allouée : être « l’Appât », pour te donner envie de venir .

Heureusement la vie, le temps, les rencontres, les chutes... permettent d’avancer pour qui n’a pas été complètement détruit .

Elle a vu son père faire de la mosaÏque avec passion, poser côte à côte des petits morceaux de pâte de verre pour créer des tableaux unifiés, peut-être lui a-t-il ouvert la voie pour qu’elle mette côte à côte des mots jusqu’à obtenir une mosaïque aboutie de l’histoire familiale !

Toute la famille a disparu, tu es parti le dernier il y a de nombreuses années, tu étais devenu depuis longtemps déjà le diable ... à fuir coûte que coûte . Un jour , on lui a appris: tu étais mort… dans une solitude ….

Maintenant qu’elle a relu l’histoire, relié les histoires, maintenant que sa peur a fondu, maintenant qu’elle a trouvé le chemin, si l’histoire pouvait être récrite, si tu étais encore là, elle t’appellerait, elle te visiterait, elle te prendrait délicatement la main, celle au poignet cassé quand tu étais enfant et que le chirurgien avait mal réparée ...

Votre rencontre serait sans mots peut-être, elle sourirait au vieux petit garçon tyrannique dans son habit d’homme bien trop grand pour lui !

Est-ce là le pardon ?

Elle ne te laissera pas remourir seul !

Commentaires 1

  • Russelouve

    quand le sentiment de beauté visite les mots et le récit. Tactile touche émotionnelle

    Russelouve

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