Cette demeure majestueuse érigée sur le haut du plus beau parc de la ville était certainement l’une des plus élégantes de toute la région. Ses volets et porte ne s’ouvrant jamais, elle semblait abandonnée et les familles aisées l’ont longtemps convoitée sans jamais pouvoir l’acquérir, le propriétaire était introuvable. Pourtant dès les premières fraîcheurs d'automne, les hautes cheminées laissaient échapper une fumée bleue au parfum de bois: la bâtisse était donc habitée ! Les années se sont écoulées , les questions se sont éteintes .
En réalité, je l’ai appris plus tard, une famille de cinq adultes et une enfant vivait là dans une totale autarcie affective . Le pouvoir de décision appartenait à un des hommes du clan, il commandait, les autres obéissaient en silence, par crainte, soumission ou adhésion.
Une règle avait été établie et acceptée une fois pour toutes: « puisque ensemble on a TOUT et qu’ensemble on est TOUT, il est inutile donc interdit de s’approcher des autres, dehors »
Un petit grain de sable inattendu est venu se loger dans les rouages de ce beau manège pour qu’il tourne un peu moins rond: un des hommes est mort et passé plusieurs jours, il a fallu aérer…
Alors pendant quelque temps, les fenêtres se sont ouvertes, peu mais suffisamment pour que l’enfant voie le bleu du ciel, entende les bruits de la ville et surtout soit envahie par une musique inconnue et familière à la fois, venue d’un pays lointain qui semblait avoir une histoire à lui raconter.
Alors elle s’est acharnée à ouvrir, portes, fenêtres pour faire entrer la vie . En réalité, c’est ceux qui vivent à l’affût de ce qui est bon à prendre qui se sont engouffrés dans la brèche et, sans morale, sans tact, ils ont rempli leur besace de tout ce qu’il était possible de dérober. Non contents d’avoir pillé la maison, ils s’en sont donné à coeur joie en détruisant la mémoire, les souvenirs de la jeune fille, son âme même.
Un jour, sentant sa vie en danger, elle a compris qu’elle devait les chasser ces prédateurs, mais seule, elle n’en avait pas la force.
Elle allait s’avouer vaincue quand elle aperçut un homme près de la cheminée qui semblait différent de tous les autres. Sa besace était plate, il se réchauffait les mains au coin du feu et il ne riait ni ne buvait avec les autres. Elle s’est approchée de lui, dernier espoir, elle lui a demandé de l’aide. Il n’a pas répondu, il avait perdu les mots, habitué à vivre seul depuis si longtemps! Pourtant leurs regards se sont parlé, elle a eu envie de lui faire confiance.
Ensemble, ils ont trouvé la force de les pousser dehors les voleurs, les malins, les pervers !
Et c’est ainsi qu'un jour, les volets et la porte de la plus belle demeure du parc se sont ouverts et fermés comme chez chacun d’entre nous.
J’ai appris de la bouche de cette femme, devenue mon amie, que cette aventure douloureuse et dangereuse l’a sauvée de la prison de son enfance et que maintenant, sans trembler, elle peut dire de vrais oui, de vrais non, des oui qui deviennent non et des non qui se changent en oui au fil de ce que lui chuchote son coeur.