Encrier 87

Textes de 2022 Texte de Lilah du 8 septembre : Paradis perdu

Paradis perdu

Ce ballon de baudruche bleu, couleur d’un ciel d’espoir, gagné à la fête foraine, qu’il tient en laisse comme un jeune chien ou plutôt comme un oiseau, fait émerger dans le corps de l’enfant une pensée jusqu’alors inconnue de lui: et s'il s’envolait avec l’oiseau, loin, là où le choeur des femmes entonne cette mélopée plaintive, douce et enveloppante à la fois , que son père murmure chaque dimanche matin pendant sa toilette.

Une terreur inscrite dans le corps du père l’empêche de partager sa langue maternelle pour dire, même à son fils; et l’enfant sait qu’il ne doit pas ouvrir la plaie par des questions. Mais à l’instant où il a tenu dans sa main le cordon qui entrave l’envol du ballon, d’un coup, l’enfant a senti le besoin impérieux d’ aller au pays lointain de ces chants envoûtants d’où le père a dû s'exiler, et auquel il s’accroche en silence chaque dimanche matin pour trouver l’énergie de continuer ici la route.

Un tourbillon de vent impétueux, la petite main s'ouvre, l’oiseau s’envole, abandonnant l’enfant hébété .

Marcel, qui promenait son chien comme chaque matin, voit l’enfant assis sur un banc, le regard vide. Il s’assoit près de lui . Marcel ne sait rien de cette famille qui vient de s’installer dans la maison qui jouxte la sienne. Il a simplement en tête les chants graves, étranges qui arrivent jusqu’à lui, il y a perçu la souffrance.

Marcel et l’enfant sont côte à côte, sur ce banc. Marcel n’a pas de curiosité, simplement il est là et il sent la profonde tristesse de l’enfant . D’un coup, ses grosses vieilles mains rugueuses échappent à sa volonté pour venir faire abri à la main coupable, et aussitôt l’enfant désespéré sent revenir en lui la sève du désir . Il entend l’autorisation muette de Marcel:

Oui, un jour, il ira là-bas les chercher, les racines , il s’y engage.

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