Encrier 87

Textes de Yvos Texte de Yvos du 4 décembre : Histoire de la charrue

Un paysan excité à l’idée d’élever un cheptel de porcs particulièrement féconds (2.5 portées de 18 porcelets par truie et par an) s’est trouvé débordé par la prolificité de cet élevage de naisseur engraisseur, organisé en bandes à trois semaines.

Il ne tarda point à découvrir l’abondance de naseaux en forme de ventouses gélatineuses pressant autour de lui des airs d’éveil à la curiosité du monde, avec des petits cris rauques rythmant les respirations saccadées.

Le tout enrobé d’une odeur acide, mélange de digestion azotée et de déjections au phosphore, qui apparaît d’ordinaire dès le stade du post sevrage (soit environ 2 mois après la mise bas).

Pas franchement satisfait de dénombrer autant de groins que de coutumes en son projet ; il n’avait pas prévu d’en autant obtenir et il n’eut pas d’autre alternative que de stopper là son œuvre de naissage intensif, la perplexité l’envahit.

Mais, observant que ses protégés, ongulés sans sabot, monogastriques devant l’éternel digestif et fouisseurs invétérés, outillés d’un appendice nasal aussi curieux qu’entreprenant, proliféraient en un espace de plein air aussitôt réduit par le surnuméraire et se consacraient, avec un acharnement millimétré, à une œuvre quasi atavique de destruction du tapis végétal, il eut une vision de génie.

Son pressentiment l’amena à abandonner ses ambitions de multiplicateur porcin pour se consacrer à l’étude attentive de ce phénomène de remuement héréditaire. Il constata à l’aplomb des têtes des cochons, dont les yeux rougeoyants d’envie irrépressible, entièrement focalisés par l’acharnement du retournement d’un plancher qu’on attribue généralement aux vaches, l’utilité d’un tel appendice propre à l’espèce animale des suidés.

Il se mit à observer attentivement le manège qui prenait tour à tour des allures de ballet bestial que n’aurait pas désavoué le circassien Bartabas, d’où apparaissait la véritable nature de ces bulldozers agricoles résolument occupés à retourner le sol pour en extraire quelque pitance terraquée.

Enseveli jusqu’aux oreilles, pattes arrières arc-boutées tels des nageurs s’apprêtant à plonger, les hures des verrats et les tarins des jeunes gorets, indifférents au fait d’éveiller quelques émois sexuels chez les truies dépourvues de gestation et les cochettes non gravides, semblaient acharnés à vouloir extraire du terrain argileux toutes sortes de délicieux trésors.

C’est ainsi que fut déterrée par les porcidés aux teints rosés, des pores de la peau terrestre, sous le regard du paysan ébahi et retourné d’impressions aux multiples résultantes, une pédofaune aussi improbable et douteuse que bigarrée, telle une salade composée de matière organique sous solière.

Des vers tout à fait mûrs dont de brillants lombrics entourés de leurs tortillonneux turicules, appliqués à creuser, fragmenter et s’atteler au micro brassage horizontal et vertical du complexe argilo humique, parmi le maillage arachnéen du réseau racinaire.

Dans la visée de l’homme consterné, la structure particulaire, massive ou fragmentaire, composée d’éléments très compacts, corpulents, grumeleux, prismatiques ou polyédriques fait le régal des coléoptères et des diptères ayant passé larve à gauche, avec leur progéniture, les cohortes d’arthropodes, des colonies de protozoaires, les oribates dithyrambiques et les gélatineuses gamacides.

Face à cette déflagration d’impertinents appétits protéiformes d’un ravissement stomacal cochonesque, voici notre éleveur ramené à la portion congrue de celui qui s’interroge gravement sur la vision qui l’anime de constater la fonction de ces groins grimaçants.

Il a intelligemment perçu que l’adaptation aux contraintes de la recherche de nourriture propre à l’espèce porchère, dans laquelle on dénombre les sangliers, les pécaris et les phacochères, n’était rien d’autre qu’un formidable outil de forage industriel, une tarière pouvant servir d’auxiliaire aux travaux de la pédologie, bref un extraordinaire mécanisme dévoilé sous ses yeux, après avoir parcouru le long cheminement de l’évolution.

Sa première décision fut de vendre dare dare l’ensemble de sa cochonceté et sa mirifique suitée et d’en garder quelques fabuleux spécimens qu’il mit au banc d’essai, dans un laboratoire en plein air, s’inspirant de leurs zèles de fouisseurs pour mettre au point le projet fervent de sa découverte, nécessitant l’aménagement dans une grange, d’une forge afin de se consacrer à des travaux de chaudronnerie.

Après quelques réalisations plus ou moins satisfaisantes, il réussit à mettre au point un judicieux prototype d’engin en forme de quartier e lune qui deviendra plus tard une araire puis une charrue. Celle-ci va révolutionner la culture agraire en introduisant l’usage du labour de la terre avant semis.

Cette pratique sera remise en cause des siècles plus tard pour des raisons écologiques mais elle fut, sur le moment, une fantastique avancée technologique et rendit célèbre son inventeur.

Sa descendance perpétua à travers l’histoire l’épopée industrielle de la découverte de la charrue et le nom des ingénieux héritiers devint celui d’une marque de tracteurs : John Deere. On pourrait dire de lui, tel un slogan pour qualifier sa vision : « son intuition verratoire l’a conduit à découvrir le soc de la porcitude. »





Yvos

Commentaires 1

  • Liseroon

    Quel humus! Quel ferveur!
    Tant de graines-mots ont été semées qu'un arbre de vie vient de pousser! Avec la fulgurance de l'arbre de Totoro!

    Liseroon

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