Encrier 87

Le sommeil n’en faisait qu’à sa tête dans le cerveau de Lucie cette nuit-là et l’association des mots « les sables du temps »entendue ce matin au pressing tournait, virevoltait dans sa tête .

Puis le mot « temps »s’est mis à l'obséder et d’un coup, elle s’est sentie aspirée, un vertige dans lequel ce mot la transporte parfois, avec cette sensation de l’infini du temps qui lui fait perdre pied, alors que l’infini de l’espace ne la trouble pas.

Après la vie, après l’après ...et voilà Lucie embarquée sur le toboggan qui n’en finit pas de dévaler une pente sans fin vers un lieu jamais atteint; la tête de Lucie tourne comme un manège déréglé.

Elle cherche des garde-fous pour la préserver de l’abîme, des garde-corps pour se cramponner et le seul fait de les rechercher ralentit un peu l'allure de sa chute.

Lucie reprend sa respiration, ses esprits jusqu’à faire revenir vers elle les « sables du temps »et les deux mots se détachent l’un de l’autre, les sables font alors « dune » pour freiner la course du temps et l’espace de quelques secondes, dans l’esprit de Lucie « les sables du temps » deviennent une plage immense, infinie où Lucie voit l’empreinte de ta main aux doigts écartés qui semblent chercher avidement un essentiel.

Elle reconnaît cette main, elle veut tendre la sienne pour que les deux mains séparées par le temps se rejoignent, s’agrippent l’une à l’autre pour faire lien mais le temps imparti est déjà écoulé, le temps a repris sa course avant même que la main du père disparu serre une seule fois la main de la petite fille pour la rassurer, elle qui ne pensait qu’à arracher la main de son père au manège infernal de la fuite du temps.

Rendez-vous raté, le temps ne fera jamais marche arrière, mais Lucie sait maintenant : dans ses rêves, elle ralentira le temps, elle prendra dans sa main celle de son père et ne la lâchera pas au réveil.