Encrier 87

Nacha et Seloua, jeunes adolescentes en vacances chez leur grand-mère farfouillent avec frénésie dans la grande boîte en carton bleue qui renferme les photos de famille, certaines datant de plus de cent ans.

Seloua s’arrête sur une petite photo en noir et blanc. Aucune date, aucune précision au dos. Deux filles de son âge, sur un petit pont , c’est l’été. Elles semblent poser pour la photo; elles sont élégantes, endimanchées, peut-être vont-elles en famille visiter des amis.

Seloua interroge sa grand-mère et les souvenirs envahissent la vieille dame, vifs comme si c’était hier. La jupe de la grande, bien que la photo ne le montre pas était en popeline blanche à pois rouges, c'était la mode. Le canezou, nom donné à la veste courte, était en drap de laine fin, orange, confectionné comme tous les habits des femmes de la famille par la grand-mère, couturière à ses heures. Un petit panier en osier, orange également, complétait la tenue.

Le bonheur dominical se lit sur la photo, les sourires des jeunes filles enlèveraient tous les doutes si d’aventure quelqu’un se prenait à le discuter.

La vieille dame voit ce que la photo ne montre pas !

Une détresse profonde traverse parfois certaines adolescences qui, à leur insu , montrent leur mal-être pour que les grands entendent ce qui cherche à se dire et portent secours, mais les grands sont souvent sourds à cette langue, ils ne voient pas, trop pris qu’ils sont !

Derrière les lunettes de soleil de la grande fille se cachait un regard éteint, elle s’arrachait les cils et les sourcils à mesure qu’ils repoussaient; sous les manches du canezou se cachaient des bras tatoués de scarifications qui nourrissaient la honte de l’adolescente.

Finalement, la grand-mère est embarrassée: quelle vérité transmettre à ses petites-filles ? l’histoire que raconte la photo ou celle cachée derrière ?