En pleine croissance du virus , 22mars 2020
Pour pouvoir commencer à écrire , elle doit d’abord mettre « coucou » ou bien « bonjour », parce que les mots ne lui viennent que lorsqu’ils sont adressés à un destinataire particulier ; or aujourd’hui , elle a besoin d’accoucher de mots et il n’y a pas d’interlocuteur .
D’ordinaire la personne pour qui les mots viennent , c’est son fils. Pour son enfant , les mots arrivent , lui échappent et sont souvent en avance sur elle . Quand ils se posent , apaisés , encourageants , tendres , acceptant parfois même ce qu’elle trouve inacceptable , ensuite , quand ils sont là , comme des enfants nouveaux-nés , alors ils lui reviennent en écho et cette mère qui vient de donner vie aux mots s’enveloppe elle-même dans cette douceur et elle fait ainsi un vrai pas vers son meilleur .
Pendant ces jours difficiles , elle ne se sent pas la force de donner , d'écouter , pas la force d' espérer , pas la force de rêver et de se projeter .
Cette femme a longtemps porté un masque et il a fallu le temps d’une vie pour le défaire celui-là , mais c’est fait . Elle ose être celle qui se cachait derrière ce maquillage, obligatoire pour être acceptée par la famille et ainsi paraître sans failles. Son regard sur la vie , sur l’autre , sur elle ,sur demain , ce regard a dû se cacher jusqu’à disparaître loin sous la terre , là où la lumière ne pénètre jamais .
Depuis quelques jours ,c’est l' épreuve de vérité ; cette femme qui a si longtemps préféré l’extérieur à l’intérieur, ces jours-ci , le dehors tue . L’autre est porteur de mort si on l’approche . Comment cette femme peut-elle accepter ça quand c’est la rue qui l’a , sinon sauvée du moins rendue présente au monde .Comment accepter cette situation ?
Elle appelle ses connaissances , ses amis , mais elle se rend compte que l’autre en face a aussi ses terreurs et il est impossible de s’appuyer sur les terreurs de l’autre pour vaincre les siennes .
Alors la femme se questionne : mais qui suis-je « au fond ? » Elle se retourne , regarde le chemin parcouru et se demande si finalement elle a bien compris qu’elle est sur terre pour creuser son sillon , pour rendre la vie plus fertile et plus belle que celle de sa mère et de la mère de sa mère avant elle. Elle voit le chemin qui reste à parcourir .
Elle veut mettre les bouchées doubles par ce temps de menace , il y a urgence à « être » mais la menace la terrifie tellement , comme quand elle était petite . Prostrée sur sa chaise, elle ne fait rien . Vouloir avancer et être pétrifiée , finalement comme avant , comme il y a si longtemps !
D’un coup la décision se prend , elle s’arme d’un stylo , attend ,dans le vide ; elle s’agacerait presque quand les premiers mots se mettent à sourdre timidement puis à prendre de la force jusqu’à lui échapper violemment et ils courent , ils courent sur la feuille et font fuir les angoisses de l’enfance-sans-mot.
Elle se lève de sa chaise , continue vaillamment la route …malgré tout .
Commentaires 2
Echos sonores, vivants, dans mon puits sans fond.
Lilah, des émotions galopent sur ma peau à le lecture de votre écrit.
Je me sens bouleversée, de l'onde de votre existence.
Bien à vous de ce sillon qui creuse des racines lianes, racines de notre nature humaine.
Frédérique
Bonjour Lilah. Cette histoire parle bien de l'époque que nous traversons...
Tous-tes nous obéissons à la "grande crainte" qui demeure approximative,
inavouée, proche et lointaine...
Je me rapproche de ton texte pour avoir, il y a qq-années, écrit un texte
qui traitait de l'évaporation de la mémoire...
Et je me rassure grâce aux samedis matins d'un encrier partagé.
DD.