Association Encrier - Poésies

Rencontre avec des Peintres Rencontre avec Jan Gossaert (1478-1532) (dit parfois Jan Mabuse) : Adoration des Rois Mages

Huile sur bois de Jan Mabuse, réalisé entre 1510 et 1515, qui mesure 177,2 sur 161,8 cm. Ce tableau représente l'adoration des mages. Il est conservé à la National Gallery à Londres. Il a été parfois attribué à Albrecht Dürer.

Lire l'article de Phillipe Hamon : Les Rois mages et leurs offrandes. À propos d’un tableau de Jan Gossaert avec le lien suivant : https://books.openedition.org/pur/19846?lang=fr

En voici deux extraits :

"Les trois Rois mages sont disposés de part et d’autre de la Vierge et de l’Enfant. Sur ce tableau, leur désignation est facilitée par des inscriptions. Le plus âgé, à genoux, est Gaspard : sur le couvercle de la coupe, posé au sol, on peut déchiffrer : « (L)E ROII IASPAR ». À gauche, le roi noir est Balthazar, ce nom figurant sur sa couronne. Reste donc Melchior, à droite. Malgré sa position légèrement en retrait, il n’est pas le plus mal situé des trois : comme souvent aux XVIe et XVIIe siècles, c’est le roi noir (« maure »), dont la présence est désormais quasi systématique, qui a la situation la moins favorable : ici Vierge et Enfant lui tournent le dos ; ailleurs, et c’est le cas le plus fréquent, il est le plus éloigné, parfois nettement, de la sainte Famille."


"Chez Gossaert, le luxe est exacerbé, avec des pièces d’orfèvrerie d’une exceptionnelle somptuosité. Incontestablement, le début du XVIe siècle marque un des sommets de cette tendance aux Pays-Bas, mais aussi dans le monde germanique, voire ailleurs . Parmi les trois objets en or massif ciselé peints par Gossaert, la coupe de Gaspard conserve un aspect proche de ce que l’orfèvrerie de haute volée peut produire. En revanche, les extraordinaires cadeaux de Melchior et Balthasar paraissent bien se situer en dehors de toute imitation et s’évader des contraintes d’ordre aussi bien matériel que financier. Leurs parties hautes sont inspirées du foisonnement propre à l’architecture flamboyante. Dans sa partie centrale, l’offrande de Melchior est rehaussée de quatre plaques rondes en or qui contiennent chacune un gros rubis."

'"Mais ces luxueux chefs-d’œuvre ne sont que les contenants des véritables cadeaux, tels que les évoque l’évangile de Matthieu : or, encens et myrrhe. La tradition théologique leur a donné une signification alors largement admise : l’or manifeste la royauté du Christ, l’encens, sa divinité et la myrrhe évoque sa Passion à venir et donc sa condition d’homme. Pour les deux derniers produits, il est impossible de savoir qui de Melchior et de Balthasar offre l’un ou l’autre : la déconnexion paraît complète par rapport au contenu, et c’est le contenant lui-même qui reçoit toute l’attention"

Troisième extrait :

Dans une tradition chrétienne marquée par un fréquent refus de l’argent et une large méfiance envers lui, tous deux inspirés directement par certaines paroles de Jésus dans les Évangiles, la représentation de l’Adoration des Mages prend une tonalité particulière.

Dans cet épisode inlassablement reproduit, de retable en fresque, de bas-relief en miniature, apparaît la figure d’un Jésus, enfant certes, mais déjà pleinement Dieu, qui accepte l’argent, et qui souvent plonge ses mains dans coupes et coffrets voire, comme ici, brandit une pièce. Rien de tel évidemment pour l’encens, et a fortiori pour la myrrhe, qui d’ailleurs ne signifie sans doute pas grand-chose pour les spectateurs ni pour certains artistes... Jésus qui, dans les Adorations des Bergers, est indifférent aux cadeaux des simples, choisit comme premiers objets dignes de son attention l’or et la monnaie, qui n’ont évidemment rien d’anodin sur le plan idéologique. Les accepter, c’est leur donner une certaine forme de légitimité.

Certes, ce n’est sûrement pas sur cette acclimatation positive de l’argent que prédicateurs ou commentateurs des œuvres vont insister. Certes, les spectateurs du tableau y remarquent sans doute plus les offrandes somptueuses ou la cour céleste ; peut-être, en s’associant du regard aux dons des Rois, cherchent-ils une compensation en image à la modestie de ceux qu’ils peuvent faire eux-mêmes ; d’autres encore, ou les mêmes, puiseront dans ces peintures des attitudes d’adoration à reproduire . Il n’empêche : le spectacle offert, et si souvent répété, même quand la monnaie n’est pas aussi centrale qu’ici, peut-il rester sans effet ? L’absence de preuve explicite – on n’a pas, à ma connaissance, de témoignage nous apprenant qu’un artisan flamand ou un bourgeois de Tolède a pris mieux conscience de la légitimité de l’usage de l’argent en méditant devant une Adoration des Mages – ne peut ici arrêter le raisonnement. D’autant que Marie elle-même s’associe au geste de Jésus, en tenant la coupe pour qu’il y puise. Il est vrai qu’elle est aussi de facto destinataire des offrandes.

À la fin du Moyen Âge, c’est plutôt la figure de Joseph, comme trésorier de la sainte Famille, qui est associée à la réception des cadeaux. Son attitude intéressée tendrait parfois à le rendre ridicule, voire, jusqu’au milieu du XVe siècle au moins, à le faire soupçonner d’avarice. Mais son rôle affirmé de responsable légitime des tâches matérielles est aussi une façon de mettre en valeur le personnage. Cependant il ne peut rivaliser en dignité avec la Vierge. La marginalisation de Joseph chez Gossaert, alors même que l’or est au centre de la scène, écarte probablement un risque d’ambiguïté, même limité, dans le rapport à l’argent et contribue ce faisant à renforcer l’image positive de la monnaie. Que ceci soit consciemment voulu par l’artiste, ou son commanditaire, importe en définitive assez peu.

L’analyse de l’Adoration de Gossaert apporte une pierre au vaste chantier du rapport à l’argent dans les sociétés de la Renaissance.

Voilà une autre version de l'adoration des mages : l'enfant Jésus semble jouer avec les pièces d'or offertes :