"Écrire ! pouvoir écrire !
Cela signifie la longue rêverie devant la feuille blanche, le griffonnage inconscient, les jeux de la plume qui tourne en rond autour d'une tâche d’encre, qui mordille le mot imparfait, le griffe, le hérisse de fléchettes, l’orne d’antennes, de pattes, jusqu'à ce qu'il perde sa figure lisible de mot, mué en insecte fantastique, en envolée de papillon-fée.
Écrire.. C'est le regard accroché, hypnotisé par le reflet de la fenêtre dans l'encrier d'argent, la fierté divine qui qui monte aux joues, au front, tandis que une bienheureuse mort glace sur le papier la main qui écrit. Cela veut dire aussi l'oubli de l’heure, la paresse au creux du divan, la débauche d'invention d'où l'on sort courbatu, abêti, mais déjà récompensé et porteur de trésors qu'on décharge sur la feuille vierge, dans le petit cirque de lumière qui s'abrite sous la lampe.
Écrire ! verser avec rage toute la sincérité de soi sur le papier tentateur, si vite, si vite que parfois la main lutte et renâcle, surmenée par le dieu impatient qui la guide.. et retrouver le lendemain, à la place du rameau d'or, miraculeusement éclos en une heure flamboyante, une ronce sèche, une fleur avortée.
Colette, La Vagabonde, 1910.