Association Encrier - Poésies

Rencontre avec des Peintres Rencontre avec Watteau : Gilles

GILLES

« Gilles, personnage du Théâtre de la Foire, est l'occasion pour Watteau de confesser sa mélancolie par l'intermédiaire d'une figure exposée à la dérision. À l'opposé des charlatans qui éblouissent par leurs bavardages, Gilles est l'image de la naïveté taciturne et de l’échec. » À laver la tête d'un âne, l'on perd sa lessive » : tel est le titre de la pièce, dont il est le héros, et l’animal au regard triste, que le docteur chevauche, apporte au tableau sa précision allégorique.

Immobile, les bras ballants, revêtu d'un satin aussi candide que son esprit est vide, Gilles figure, une hébétude encore en deçà de l'éveil, une conscience prisonnière de sa confusion. Cette stupeur, cette léthargie, les hommes les plus vifs du siècle l'ont connue et l'ont décrite : c'est l'antithèse nécessaire de l'intelligence virtuose qui triomphe dans Arlequin ou dans Figaro. »

Jean Starobinski, dans le livre L’invention de la liberté (édition Skira,page89)

........................

" Introverti et extraverti, tout à la fois, Watteau fréquente les comédiens et fait leur portrait. À force de jouer tous les rôles, de taire leur propre souffrance, aux bénéfices des aveux des autres, d'affronter, les quolibets d'un public aux aguets, ces êtres finissent par être chargés d'une humanité profonde, par acquérir, au-delà de l'apparence, une réelle authenticité.

Tel ce Pierrot, personnage de théâtre populaire. Passant outre les observations sarcastiques des autres personnages de la commedia dell arteLéandre l’amoureux, Isabelle la femme intrigante, le capitaine fanfaron, le docteur sur son âne— enveloppé par la blancheur moirée admirablement rendue de ses habits, les bras, ballants dans des manches trop longues, il se présente là devant nous. Il se livre sans défense, et sans affèterie à notre regard, garde malgré son accoutrement ridicule une contenance pensive, dont l'expression reste énigmatique. Candeur naïve ou vérité plus profonde? Auréolés d'un feutre rond, son visage au regard mélancolique, semble vouloir nous dire : «  Riez tant que vous voudrez, je préserve en moi, cette part d'innocence qui, en fin de compte, fait la valeur d'un homme. »

Certains ont cru voir dans ce personnage un autoportrait du peintre. "

François Cheng, extrait de la page 84 de Pèlerinage au Louvre , Flammarion 2008