Le songe de Constantin
L’homme qui dort se nomme Constantin . C’est un Empereur romain , un conquérant , un guerrier sans merci . Son sommeil parait paisible , bien qu’il doive livrer bataille le lendemain . On aperçoit dans l ‘angle supérieur gauche du tableau un ange , on dirait le trait d’un éclair traversant le ciel nocturne , ou un grand oiseau qui n’hésiterait pas sur sa direction . Ce visiteur de la nuit a dû rassurer l’Empereur : il sortira vainqueur du combat qui l’oppose à son rival Mayence . Cet ange qui précède une croix est l’annonciateur aussi de la prochaine conversion de Constantin . Sa lumière éclaire le rouge sang de la couverture et le blanc mortuaire du drap .
Côté de l’homme qui dort , un tout jeune homme assis . Un serviteur , qui n’a pas de nom . Une sentinelle , mais qui s’abandonnerait à sa propre rêverie . Il est le dormeur éveillé . Sa tête penchée s’appuie sur sa main . C’est un rêveur quelque peu mélancolique , peut-être doute-t-il de l’issue du combat , l’ange ne l’a pas visité , ne lui a adressé aucun signe .
Au premier plan , deux gardes . Ce sont eux , des guetteurs du jour . Ils ont les pieds sur terre . L’un tient fermement une haute lance , il est tourné vers le lit de l’Empereur , de l’homme qui dort profondément sous une tente . L’autre nous fait face , il aune arme dans la main , porte un casque de métal , son regard est aussi froid que le casque . Cet homme nous surveille , il nous interdit de nous approcher de Constantin .
Tous ces personnages — l’ange-oiseau , l’homme assis , les deux gardes armés — ont chacun leur mission . Aux postes qui leur sont assignés , ils sont gardiens du sommeil de l’Empereur . Ils le protègent , lui et son sommeil , pour qu’il puisse être le seul réceptacle du message de l’ange , pour qu’il puisse se confondre avec sa vision . La scène représentée se confond à la frontière de la nuit et de l’aube , du sommeil et de l’éveil , du songe et de la rêverie .
Ce tableau qui figure un épisode de la Légende de la Vraie Croix qu’a peinte Piero della Francesca à San Francesco d’Arezzo est un des plus beaux que je connaisse . Un livre tout entier consacré à la fresque permet d’en voir de près tous les détails . J’ai passé des heures à scruter Le songe de Constantin , non pas à le scruter : à le faire mien .
Plutôt que celle de l’Empereur endormi , je prends la place de l’homme assis , de celui que j’ai nommé le dormeur éveillé . Je m’attarde sur son visage , j’essaie de deviner ses pensées , à quelle rêverie il s’autorise à s’abandonner tout en refusant de s’assoupir ; il demeure gardien . Il m’évoque ces mères qui veillent sur leur enfant endormi tout en rêvant à autre chose .