Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Jacques Roubaud Rencontre entre Robert Desnos et Jacques Roubaud : Infinitif et Définitif

INFINITIF

Y mourir ô belle flammèche y mourir

voir les nuages fondre comme la neige et l’écho

origines du soleil et du blanc pauvres comme Job

ne pas mourir encore et voir durer l'ombre

naître avec le feu et ne pas mourir

étreindre et embrasser amour fugace le ciel mat

gagner les hauteurs abandonner le bord

et qui sait découvrir ce que j'aime

omettre de transmettre mon nom aux années

rire aux heures orageuses dormir au pied d'un pin

grâce aux étoiles semblables à un numéro

et mourir ce que j'aime au bord des flammes.

Robert Desnos-Les Ténèbres,1927

:::::::

Définitif

Je mourrai flamme sans bord je mourrai sauf


accident les nuages fondant dans la neige le sol

comme l’origine au soleil pauvres de l’écho


qui ne se meurt pas encore mais voit durer


une ombre née avec le feu, qui peut l’éteindre

et l’étreindre, embrasser, pierre fugace, le son


soulever les hauteurs abandonner le bac


rive à rive l’appel vaporisé dans le fleuve


ordonne ma mort mais dans la flamme h


umide de découvrir ce que j’aime au fond


banalisé de ce qui ne se peut omettre


autre faux sisyphe mon nom poussé vers le tien l


umineusement joint au tien dans la

doublure de cette flamme, penses-y.

Jacques Roubaud-Autobiographie (chapitre X)

:::::::

Commentaire de Marie-Paule Berranger, dans Poésie en jeu(Bordas,1989), page 114 :

DESNOS réécrit par ROUBAUD

Infinitif poème de Robert Desnos figurant dans "les ténèbres - 1927 " devient chez Roubaud dans "Autobiographie chapitre X" ,Définitif . Ce qui était « désir demeuré désir » se fait certain. Mais dans les deux poèmes c'est l'espace même du texte qui se fait dépositaire d'un secret : le poème expose son aveu amoureux à la femme aimée, tout en le préservant des indifférents.

Selon un procédé très en vogue au Moyen Âge , l’acrostiche réalise dans le poème la rencontre que la réalité n'accorde pas à Desnos : on peut en effet lire verticalement le prénom et le nom de Yvonne George en suivant une à une les lettres initiales des vers, auquel répond à la finale le nom du poète: Robert Desnos.

Roubaud de la même façon signe son poème. Mais le voici sujet, à l'origine des vers, tandis que la femme aimée (Florence Delay), objet de la dédicace, apparaît à la marge de droite. Non sans humour, Roubaud joue des contraintes du genre : ce double acrostiche suppose en effet que les deux noms comptent le même nombre de lettres-le "h", d’un soupir , comble ici la différence.