Association Encrier - Poésies

Rencontre avec des Peintres Rencontre entre Cézanne et Jean-Paul Marcheschi : Sur la Sainte-Victoire du Kunst Museum

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Extraits du dernier volume de la série Notes d’un peintre, de Jean-Paul Marcheschi

"Dans le cas de Cézanne, pour en venir à la question énigmatique de la mémoire, il faut un modèle. Prenons n’importe lequel de ses tableaux — la Sainte-Victoire de Bâle, par exemple ; on fait le voyage de Bâle, on déambule dans les salles du Kunst Museum. On ne sait trop ce que l’on va découvrir. Et voici qu’en arrière de la vue, quelque chose remue qui n’a forme, ni nom. C’est un point blanc — gris-blanc — un cristal qui explose, ourlé de bleu. On est comme aimanté. Plus moyen de s’échapper. On n’est plus aux commandes — ni de son œil, ni de son esprit. Il n’est que de se laisser porter (plus qu’une perception précise, il s’agit d’une onde). Voilà la longue distance de l’œuvre qui s’est mise au travail. À notre insu, on est dirigé lentement vers la tache. Voici qu’apparaît le format (« paysage », de modestes proportions : 60 x 70 centimètres). On ne sait toujours pas ce que l’on voit : une sorte de tapis, de tissu dressé, moucheté, raidi de couleurs ?"

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"Ce trouble, pourtant, Rilke l’a bien décrit : « Même quand on ne regarde aucun de ses tableaux en particulier, rien qu’en restant debout entre deux salles, on sent leur présence se reformer avec une colossale réalité. » Rien de « magique » ici. Expérience éminemment physique, au contraire — concrète, profonde. Mais poursuivons (revenons à Bâle). Le visiteur progresse, il s’avance lentement (change constamment de distance). À un moment donné une vague ressemblance se fait : masse feuillue, rugueuse, droite. Paysage ? Lointains bleutés, ocres, verts émeraude, bleus outremer, gris, trouée blanche ? Montagne claire qui se penche vers la droite ? On s’avance et c’est comme « si les peaux de l’œil tombaient une à une », on se voit voyant. On se sent plus vivant, plus actif, plus présent ; On ressent physiquement le tissu rétinien et chacun des bâtonnets colorés qui le composent."

Note : Ce billet a pour origine le billet suivant du site Fine Stagione : ICI