Association Encrier - Poésies

Rencontre avec des Peintres Rencontre avec La Danse Macabre de Paris : la Mort, le Cardinal, le Roi

La Mort

Vous faites l'étonné, semble-t-il,

Cardinal; mais en avant,

Suivons les autres!

L'étonnement de sert de rien.

Vous avez vécu magnifiquement

Et dans l'honneur, à votre grand plaisir.

Prenez gré à l'escapade;

À vivre en grand honneur, on en oublie la fin.

Le cardinal

J'ai bien raison de m'effrayer

Alors que je me vois serré de si près:

La Mort m'assaille.

Je ne me vêtirai jamais plus ni de vert, ni de gris;

Chapeau rouge, chape de prix,

Je dois les laisser, à mon grand désespoir.

Je n'avais pas appris cela:

Toute joie finit en tristesse.

La Mort

Venez, noble roi, tête couronnée,

Renommé pour votre force et votre vaillance.

Jadis vous viviez au milieu

De grandes pompes, de la haute noblesse.

Mais vous devez à présent abandonner vos airs de grandeur:

Vous n'êtes pas seul.

Votre richesse ne vous servira guère;

Le plus riche n'a qu'un linceul.

Le roi

Je n'ai pas appris à danser

Sur un air aussi effréné.

Hélas! On peut constater et méditer

Ce que vaut l'orgueil, la force, le lignage;

La Mort a coutume de tout détruire,

Le grand comme le petit.

Moins on s'estime, plus on est sage;

À la fin, il nous faut redevenir cendres.

Texte attribué à Jean Gerson(1363-1429)

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On voit, dans cette Danse macabre, défiler une série de trente couples masculins (les femmes sont ici exclues) formés d'un mort nu, parfois drapé, à la maigreur causant l'effroi et d'un vivant aux traits repus et aux vêtements bigarrés. Chaque vif est censé représenter les différents états de la société, selon une hiérarchie bien établie. Un ecclésiastique doit tout d'abord alterner avec un laïc et c'est ainsi que les couples morts/vifs se succèdent :

· Pape

· Empereur

· Cardinal

· Roi

· Patriarche

· Connétable

· Archevêque

· Chevalier

· Evêque

· Ecuyer

· Abbé

· Bailli

· «Ministre»

· Bourgeois

· Chanoine

· Marchand

· Chartreux

· Sergent

· Moine

· Usurier

· Médecin

· Amoureux

· Avocat

· Ménestrel

· Curé

· Laboureur

· Cordelier

· Enfant

· Clerc

· Ermite

C'est l'imprimeur parisien Guyot Marchant qui, le premier, publiera cette version en 1486.

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Au cimetière des Innocents, situé en plein coeur de la ville, au spectacle de la sinistre farandole se mêlait une vision d'horreur bien réelle : celle du cadavre et de la charogne ensevelies dans un sol qui avait accueilli déjà tant de morts et que les passants ne pouvaient ignorer. En effet, selon les calculs de M. Hericart de Thury, durant 700 ans près de 1.200.000 cadavres furent entassés dans ce cimetière, le plus important de Paris.

En effet, à l'intérieur des trois murs de clôture, sous les auvents se trouvait un charnier où l'on entassait les ossements une fois que la terre avait achevé son travail de décomposition. L'air y était à ce point irrespirable que Corrozet souligne dans Les Antiquitez de Paris que la terre était :

« si pourrissante, qu'un corps humain y était consumé en neuf jours».

Et Michaut de rajouter que les corps des « biens nés » étaient justement plus puants que les autres parce qu'ils avaient été mieux nourris :

« ... viandes nourritures delicatives de choix, qui apres leur coruption sont plus infectes que grosses grossières viandes. »

(Michaut, Dance aux aveugles).

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Situé en bordure d'une des grandes voies de l'ancienne Lutèce (originairement hors de Paris), ce vaste terrain vague que Philippe Auguste fit entourer de murs en 1186, ne semblait pas le moins du monde incommoder les parisiens qui s'y pressaient nombreux pour trouver libraires, marchands, marchandes de mode, ou autres écrivains publics, ces fameux « secrétaires des Saints-Innocents ».

J. Huizinga dans Le déclin du Moyen Age souligne que :

« Ce charnier des Innocents servait au XVè siècle de promenade populaire

dans une des parties les plus fréquentées de Paris,

à côté de l'église des Innocents démolie en 1786,

laquelle s'élevait au coin de la rue Saint-Denis

et de l'ancienne rue aux fers, vers l'angle nord-ouest

du square des Innocents ».

C'était également l'endroit privilégié des prédicateurs qui y prêchaient sans repos, frappant doublement l'esprit du public. L'auteur anonyme du Journal d'un bourgeois de Paris rapporte que frère Richard, un moine franciscain, y prêcha 10 jours consécutifs, le dos tourné à la Danse Macabre et face aux boutiques. Le cimetière a malheureusement disparu en 1786.

Son encombrement l'avait rendu un foyer d'infections au milieu de Paris et le Parlement ordonna sa fermeture. Le sol fut alors excavé, la terre passée à la claie, et les ossements portés dans les carrières de la rive gauche, qui prirent par la suite le nom de Catacombes. On a donc détruit la fresque pour agrandir une des rues voisines. E. Mâle s'étonne « qu'aucun artiste ait daigné en prendre une copie ».

(Texte du site de Fabrice Mrugala)