Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Robert Desnos Rencontre avec Robert Desnos : Fin de "The Night of Loveless Nights"

The Night of Loveless Nights

Jamais l’aube à grands cris bleuissant les lavoirs,

L’aube, savon trempé dans l’eau des fleuves noirs,

L’aube ne moussera sur cette nuit livide

Ni sur nos doigts tremblants ni sur nos verres vides.

C’est la nuit sans frontière et fille des sapins

Qui fait grincer au port la chaîne des grappins

Nuit des nuits sans amour étrangleuse du rêve

Nuit de sang nuit de feu nuit de guerre sans trêve

Nuit de chemin perdu parmi les escaliers

Et de pieds retombant trop lourds sur les paliers

Nuit de luxure nuit de chute dans l’abîme

Nuit de chaînes sonnant dans la salle du crime

Nuit de fantômes nus se glissant dans les lits

Nuit de réveil quand les dormeurs sont affaiblis.

Sentant rouler du sang sur leur maigre poitrine

Et monter à leurs dents la bave de l’angine

Ils caressent dans l’ombre un vampire velu

Et ne distinguent pas si le monstre goulu

N’est pas leur cœur battant sous leurs côtes souillées.

Nuit d’échos indistincts et de braises mouillées

Nuit d’incendies étincelant sur les miroirs

Nuit d’aveugle cherchant des sous dans les tiroirs

Nuit des nuits sans amour, où les draps se dérobent,

Où sur les boulevards sifflent les policiers

Ô nuit ! cruelle nuit où frissonnent des robes

Où chuchotent des voix au chevet des malades,

Nuit dose pour jamais par des verrous d’acier

Nuit ô nuit solitaire et sans astre et sans rade !


Dans tes yeux, dans ton cœur et dans le ciel aussi

Vois s’étoiler soudain l’univers imprécis,

La fissure grandir étroite et lumineuse

Comme si quelque fauve aux griffes paresseuses

Avait étreint la nuit et l’avait déchirée

(Mais la lueur sera pâle et lente la marée)

Des nervures courir dans le cristal fragile

Des fêlures mimer des couleuvres agiles

Qui rouleraient et se noueraient dans la lueur

Pâle d’une aube étrange. Ainsi lorsque le joueur

Fatigué de tourner les cartes symboliques

Voit le matin cruel éclairer les portiques

Maintes pensées et maints désirs presque oubliés

Maints éventails flétris tombent sur les paliers.


Tais-toi, pose la plume et ferme les oreilles

Aux pas lents et pesants qui montent l’escalier.

La nuit déjà pâlit mais cette aube est pareille

A des papillons morts au pied des chandeliers.


Une tempête de fantômes sacrifie

Tes yeux qui les défient aux larmes du désir.

Quant au ciel, plus fané qu’une photographie

Usée par les regards, il n’est qu’un long loisir.


Appelle la sirène et l’étoile à grands cris

Si tu ne peux dormir bouche close et mains jointes

Ainsi qu’un chevalier de pierre qui sourit

A voir le ciel sans dieux et les enfers sans plainte.

Ô Révolte !

Fortunes 1930

(Extrait rencontré page 98 du livre "La Boucle" de Jacques Roubaud )