Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Roland Giguère Rencontre avec Roland Giguère : Le temps murmure

Réédition du billet du 6 novembre 2019

Gravure de Roland Giguère.jpeg Gravure de Roland Giguère extraite du livre-disque de Thomas Hellman

Écoutez Thomas Hellman

Le silence murmure

Le silence murmure

un mot remue au fond du verre brisé

un remous d’eau claire

un mot d’amour un mot ramage


la soie des soirs nous attend

au long des jours d'ennui

la soie des soirs au coin des yeux

comme une eau promise


et le matin fine aiguille pour percer

le ballon des rêves si léger

si léger

qui nous portait si haut et si loin

hors de tout hors de nous-mêmes


hors de terre surtout

plein ciel où l’amour est en nage

plein ciel où l’amour est en nage


le silence murmure

un mot remue au fond du verre brisé

un remous d’eau claire

un mot d’amour un mot ramage …

Roland Giguère - L'âge de la parole

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Je reproduis ci-dessous le billet du 7 décembre 2012 de Vickie Lemelin-Goulet paru sur son site : https://lesmeconnus.net . Elle y évoque la sortie du livre-disque de Thomas Hellman : Thomas Hellman chante Roland Giguère ( paru en 2012 aux éditions de l’Hexagone. Montréal, 2012) :








"rien de ce que vous dites n’est oublié

si votre parole s’effeuille et tombe

en terre ferme qui recueille

et allume les moindres brindilles"

Parmi toutes les vérités frappantes révélées dans l’œuvre de Roland Giguère, celle-ci est la plus récemment exaucée. Poésie et musique sont bonnes compagnes, c’est bien connu, et c’est maintenant au tour de Thomas Hellman de nous faire profiter de leur fusion avec son recueil de 13 poèmes chantés tirés de L’Âge de la Parole et Temps et Lieux. S’étant vu confier un recueil de poèmes de ce poète charnière de la littérature québécoise, quelques neuf ans après son décès tragique, Thomas Hellman avoue en préface n’avoir ressenti aucune difficulté à mettre en musique ses vers; qu’à leur lecture, les notes semblaient jaillir d’elles-mêmes.

Né à Montréal d’une mère française et d’un père texan, les identités culturelles multiples ayant accompagné Hellman dans son cheminement artistique, de même que la spontanéité caractérisant la conception de l’œuvre, se prêtent bien au surréalisme duquel se proclamait Giguère. Son art pictural, autant que sa poésie, présentent un univers sordide, désabusé où un onirisme tordu et macabre fait figure de réalité.

La plupart des écrivains déçus par les nombreuses défaites identitaires que le Québec a essuyées, indiquent, au-delà de leur mécontentement, des voies de sorties ; laissent planer l’espoir d’un avenir meilleur. Pour Giguère, le temps s’écroule. Dans ses poèmes, la rupture du rythme, de l’image, devient la seule forme d’expression possible. Hellman, par la profondeur de sa voix, tantôt hachée, tantôt fataliste parvient à imposer cette noirceur qui rongeait Giguère.

Toutefois, être sombre et profond ne veut pas dire se traîner incessamment. Comme il l’a d’ailleurs exprimé dans son poème « Pour tout effacer, j’avance », Roland Giguère était un homme qui recherchait sans cesse de nouveaux défis pour contrer la douleur. En effet, le poète-graphiste-typographe-graveur-peintre et fondateur de la maison d’édition ERTA a malgré son mal de vivre toujours continué d’avancer en posant sur son chemin un regard désabusé. Ce versant de l’œuvre est délectable en chanson: Thomas Hellman vient ajouter au cynisme en apportant une atmosphère cabaret macabre sur fond western, notamment dans la pièce Le grand jour. La beauté des vers de Roland Giguère est décuplée par les compositions de Thomas Hellman, qui rendent justice aux fluctuations émotives du poète : de son versant le plus sombre à celui qui frôle la raillerie.

Dans ce livret-disque, tout le monde trouve son compte. On peut se concentrer uniquement sur la musique, qui à elle seule mérite le détour, comme on peut laisser le disque à son emplacement initial et se plonger dans l’univers énigmatique de Giguère. La véritable expérience demeure de regarder le livre, de s’attarder sur les gravures, sur les dessins à l’encre noire, sur les notes manuscrites et, bien entendu, sur les poèmes. À chaque écoute, ressortent de nouvelles nuances aux paroles. À chaque écoute, la découverte d’un nouvel arrangement particulièrement réussi entre un vers et une tablature. Il s’avère judicieux de l’avoir à portée de main.

Vickie Lemelin-Goulet