LE DERNIER BOURG
Ils s’étaient arrêtés à une table
d’auberge.
La route
avait été longue.
Les pierres.
Les fissures de l’asphalte.
Les ponts
plus d’une fois détruits
ou branlants.
Ils avaient
les os brisés.
Et muets
depuis le départ, ils dînaient
la tête basse, chacun
enveloppé dans le nuage vide
de ses pensées.
Que dire.
Ils avaient fouillé broussailles
et fourrés.
Ils avaient
arrêté des gens — demandé
aux habitants.
Partout
seulement des traces évasives
et de vagues indices — renseignements
réticents ou de toute façon
peu dignes de foi.
Maintenant
ils savaient que c’était là
le dernier bourg.
Un bout de chemin
encore, puis la frontière
et l’autre terre : les lieux
sans juridiction.
C’était l’heure
entre la dernière hirondelle
et la première noctule.
Une heure
déjà mouillée d’herbe
et (on entendait son écroulement
en bas dans la gorge) d’eau
dans sa ruine lointaine.
1976
Giorgio Caproni, in Le mur de la Terre,Cinquante ans de poésie, Maurice Nadeau/Lettres nouvelles , 1985 pp. 194-197
(Traduction de Philippe Renard et Bernard Simeone.)