Élégie à Marie
Afin que notre siècle et le siècle à venir
De nos jeunes amours se puisse souvenir,
Et que votre beauté que j'ai longtemps aimée,
Ne se perde au tombeau, par les ans consumée,
Sans laisser quelque marque après elle de soi,
Je vous consacre ici le plus gaillard de moi.
L'esprit de mon esprit , qui vous fera revivre
Ou longtemps ou jamais par l'âge de ce livre.
Ceux qui liront les vers que j'ai chantés pour vous
D'un style qui varie entre l'aigre et le doux
Selon les passions que vous m'avez données,
Vous tiendront pour déesse, et tant plus les années
En volant s'enfuiront, et plus votre beauté
Contre l'âge croîtra , vieille en sa nouveauté.
O ma belle Angevine, ô ma douce Marie,
Mon œil, mon cœur, mon sang, mon esprit et ma vie …
O ma belle Marie ! hé , que je voudrais bien
Qu'amour nous eût conjoints d'un semblable lien,
Et qu'après nos trépas, dans nos fosses ombreuses,
Nous fussions la chanson des bouches amoureuses !
Que ceux du Vendômois dissent tous d’un accord,
Visitant le tombeau sous qui je serai mort :
Notre Ronsard, quittant son Loir et sa Gâtine,
A Bourgueil fut épris d'une belle Angevine .»
Et que les Angevins dissent tous d'une voix :
«Notre belle Marie aimait un Vendômois . »
Or il en adviendra ce que le ciel voudra :
Si est-ce que ce livre immortel apprendra
Aux hommes et au temps et à la renommée
Que je vous ai six ans plus que mon cœur aimée.