À BOIRE ET À CHOISIR
il y a une blanche servitude qui s’étend sur la fuite des temps
il y a tout au long de son impulsion la dette de sang qui s’imprègne
il y a un nuage un seul mais il pèse plus lourd que la terre sur
l’inconscience des ans
il y a dans l’aigreur des cris stridents de lait l’aiguille d’une voix qui monte
tropicale
il y a l’infatigable couture des arbres sur le parcours envenimé
il y a une horreur indicible sur le front de ceux qui ricanent
il y a pour le tremblement de montagne le cerf rebondi la tête hurlante
l’oiseau à fusil
il y a la feuille de mort dans l’iris de la pluie le regard de nervure et le foin
pardonné
il y a mille têtes en un chiffre et le remords à cloche-pied
il y a celui qui s’embrouille dans la pourpre de ses propos de fil
il y a la laine empoisonnant la cruche vide des crânes
il y a ceux qui dans l’eau laissent tremper leurs subtiles savonneries de
mémoire
il y a l’étonnement stupide de tous ceux qui regardent qui ne font que
regarder pendant le défilé de la vie des autres
il y a le gémissement fait bête de somme
il y a l’œil frais à la cascade
il y a que n’y a-t-il pas la jeune tendresse flûtée sur ma joue
celle de l’enfance à l’oreille perdue
sombrez dérèglements chimiques des sonneries du couchant
dans l’océan jonché d’étoiles mortes
je reste sur ma faim
nos jours se regardent
sans se connaître et ne se quittent plus
tête piétinée regard écumant des algues de la solitude
il suffit à un seul éclat de recueillir le son humain
pour que l’eau monte à la bouche
que les chevaux se dressent dans les veines
fulgurants de mille suppositions de diamant
alors la reine enrobée dans les écailles du sommeil
reine de nos peines neige pour nos mains
dresse aussi la tête sous l’injure des rues et le feu des semelles
que le vent d’hiver nous jette à la figure
au cœur des nuits vacillantes comme une seule frontière
s’est incrustée l’éternelle blessure des pays de l’enfance
qui a brûlé son sang
à la longue lampe des désirs suppliants
doublant sa douleur
a vu naître la lucidité des loups sur un espace d’oubli
et la joie conduisant la lumière
Le fruit permis
Page 1190 dans Poésies complètes- Flammarion