Texte de Christiane Ziegler, page 150 du catalogue de l'exposition(à Paris) de 1982 : Naissance de l'écriture :
À la différence des autres écritures antiques, les hiéroglyphes sont étroitement liés aux représentations figurées. Si l'Ancienne Égypte inventa les premiers livres illustrés — le livre des morts— on peut aussi la considérer comme la patrie de la bande dessinée .Dès l'époque des pyramides, les reliefs et les peintures des tombes sont accompagnés de textes hiéroglyphiques exprimant les paroles échangées par des personnages.
Ces bulles font revivre d'une manière extraordinairement pittoresque les premiers habitants de la vallée du Nil. Des matelots s’injurient, un bouvier apaise d'une phrase ses bêtes apeurées, un paysan jure après son âne récalcitrant, des orfèvres s'interpellent au-dessus d'un fourneau et vantent la qualité de leur fabrication.
Un peu plus tard ce sont les représentations des banquets qui offrent les conversations les plus vivantes : une servante complimente poliment sa patronne en lui donnant à boire; une belle dame s'exclame « j'ai le gosier aussi sec que de la paille ». On a même conservé le texte des chansons mélancoliques interprétées par des harpistes aveugles ! on ne retrouve pas des scènes de la vie quotidienne sur les murs des temple, mais la commémoration des hauts faits des souverains : ainsi au cœur de la bataille qui l'oppose à l'armée hittite, peut-on entendre Ramsès II implorer l’aide du ciel; les textes accompagnant les images de l'expédiition qu'une reine envoya vers le pays de l'encens nous font partager la stupéfaction des indigènes devant les soldats de Sa Majesté " d'où venez-vous? êtes-vous tombés du ciel ?"
On peut aussi voir représenté des milliers de fois le dialogue des rois et des dieux, ou le récit des grands mythes religieux. Sur les murs du temple d’Edfou par exemple, images et textes se complètent à tel point que les étudiants d’Oxford ont pu interpréter sous forme d'une pièce de théâtre le drame de Horus et Seth. Les inscriptions sont variées : prologue dit par un récitant, discours des dieux, cris des chœurs encourageant le héros « Harponne le Horus, Harponne le » ! …
Mais sous cette apparente de similitude avec nos bandes dessinées se cache une destination différente: les mots sont inscrits pour insuffler la vie aux représentations et les représentations servent de déterminatifs aux mots. Cet usage reflète également une conception magique de l'image et de l’écriture ; comme beaucoup de peuples, les Égyptiens pensaient que ceux-ci étaient des aspects de la réalité , et faisaient partie intégrante de l’être qu'ils désignaient.