Association Encrier - Poésies

Rencontre avec des Peintres Rencontre entre François Cheng et Lorenzo Lotto(1480-1557) : Saint Jérôme pénitent

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"Avant même d’aller plus avant dans sa contemplation , nous avons adopté ce tableau dès le premier coup d’oeil , tant est fort le lien qu’entretient l’imaginaire chinois avec les pierres et les rochers.

On sait que le peintre chinois commence son apprentissage en dessinant , sous tous leurs aspects , les rochers , qui sont , pourrait-on dire , l’équivalent du corps humain dans la peinture occidentale .

C’est qu’aux yeux des Chinois , la pierre est vivante ; elle respire de tous ses pores . Premier témoin — ou première dépositaire — de l’univers en devenir , la pierre porte en elle les remous originels . En elle se condensent les souffles primordiaux . Par leurs formes infiniment variées , les rochers incarnent les multiples états physiques, voire mentaux , que l’homme peut éprouver : les élans comme le recueillement , les tourments comme la placidité, les recels sinueux comme la franche rectitude . C’est dire que les Chinois à l’esprit élevé ressentent pour la pierre une attirance tant charnelle que spirituelle . Dans maints de leurs tableaux , on peut voir une montagne aux rochers haut dressés telle une présence exigeante , mais de noblesse et de dépouillement , au coeur ou au pied de laquelle se niche un ermite . Ne font-ils pas penser à l’oeuvre présente ?

Mais la ressemblance n’est qu’apparente . Ce que nous venons d’évoquer a trait à cette profonde entente entre l’homme et les forces originelles qui animent l’univers vivant. Ici , le scène restitue un lieu austère où un ermite médite et revit mentalement la Passion du Christ . Il s’agit de saint Jérôme qui , selon la légende , se retira loin du monde durant plusieurs années, dans le désert syrien . Il y mena une vie d’ascète ,et passa ses journées et ses nuits à prier pour lutter contre la faim et la soif . On le voit assis , torse nu et le crâne dégarni, tenant d’une main une croix et de l’autre une pierre avec laquelle il se frappe . C’est l’heure crépusculaire . Près du livre ouvert , il médite sur le destin de l’homme assumé par le Christ et participe en esprit à sa Passion . Derrière lui , trois étages de rochers le surplombent ; on dirait qu’ils descendent en cascade . Ils constituent un cadre s sévère et néanmoins un abri sûr pour celui qui s’adosse à eux . Depuis le sommet noyé dans l’ombre ,une lumière descend le long des parois creusées de sillons pour venir caresser un instant ce corps affamé et assoiffé . Par delà cet écran rocheux , rendu plus compact par les denses feuillages , s’ouvre un arrière-pays composé de rochers , d’arbres et de terrains plats où la vie semble habitable . Peut-être le saint ermite , en tentant de prendre sur lui la souffrance du monde, à l’imitation de son Seigneur , éprouve-t-il tout de même un sentiment de connivence avec cette matière vivante qu’est la pierre , qui le porte et qui , contrairement à l’âme humaine , jamais ne se corrompt , ni ne trahit .

Dans cette optique , ce que nous avons dit d l’imaginaire chinois par rapport à la pierre pourrait ici prendre sens ."

Pages 32 et 33 de « Pèlerinage au Louvre » de François Cheng - éditions Flammarion -Musée du Louvre 2008

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Noter que F.Cheng ne dit mot du lion qu'on aperçoit à gauche dans la pénombre . A ce sujet voir le billet : ICI

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