Menhirs de Lagatjar , près de Camaret
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« Carnac et Lagatjar sont des pages lumineuses que le temps n’a pas déchirées. Ces chefs-d’œuvre ont persisté, la science est venue nous apprendre à les lire comme par une énorme méthode braille en appuyant sur eux le regard de notre émotion, et ces pierres assemblées nous prennent comme une symphonie, car à les connaître, elles deviennent harmonieuses sous leur dureté.
Ces pierres n’étant dures, semble-t-il, à la longue, qu’à force de tendresse accumulée. En vérité, l’une suivant l’autre, ces pierres forment pour moi, solitaire de Lagatjar et leur voisin immédiat depuis un quart de siècle, un clavier gigantesque où la touche noire de l’ombre s’exprime en mineur et la touche blanche de la lumière en majeur, tandis que l’énergie du ciel déploie la gamme des saisons et les arpèges des journées.
D’où ces alignements feraient penser à de grandes orgues de la vie à la merci variable du vent allant du nordet au suroît, du suet au noroît, à de grandes orgues qui enregistraient pour nos aïeux l’entrée et la sortie du dieu Soleil, et qui conseillaient tour à tour aux primitifs, le geste des semailles comme aussi, le geste de la faux de silex aiguisée sur le polissoir sacré qui désignait le nord.
Symbole d’équilibre et liberté, ces menhirs constituent dans leur ensemble, un monument coupolé par le ciel.
Voilà le témoignage solennel de cet âge de la lumière où entre l’homme et la haute nature, s’échange cette alliance faite de l’écliptique anneau des solstices et des équinoxes au centre vrai duquel anneau triomphait, triomphe encore et triomphera toujours, au centre de la nuit, le sublime bijou de l’étoile Polaire.
Ô merveille ! Ces premiers hommes captèrent le geste de ce soleil dont nous n’avons pas encore, nous, capté l’énergie. Et ces ignorants mirent sur la montagne, la plus précise horloge, le plus émouvant calendrier qui soit au monde, et par là, firent œuvre d’éternité.
Ancêtres, par vous, nous voyons que si les hommes ont changé, le soleil demeure le même. Il se lève toujours au solstice d’hiver et se couche toujours au solstice d’été, aux deux extrémités de la rangée dressée par vous, voilà des mille et des mille ans, et votre monument, Barbares au génie naissant, persiste de justesse à travers les siècles et les millénaires, car il possède la vie permanente des chefs-d’œuvre. Ce qui prouve que les bergers que vous étiez furent aussi d’authentiques poètes. »
(Texte transcrit à partir de l’émission de radio « Nuits magnétiques », par Gérard Macé, diffusée le 24 janvier 1978 sur France Culture)