Écoutez D.Podalydes
LE MIMOSA
Sur fond d’azur le voici, comme un personnage de la comédie italienne, avec un rien d’histrionisme saugrenu, poudré comme Pierrot, dans son costume à pois jaunes, le mimosa.
Mais ce n’est pas un arbuste lunaire : plutôt solaire, multisolaire…
Un caractère d’une naïve gloriole, vite découragé.
Chaque grain n’est aucunement lisse, mais formé de poils soyeux, un astre si l’on veut, étoilé au maximum.
Les feuilles ont l’air de grandes plumes, très légères et cependant très accablées d’elles-mêmes ; plus attendrissantes dès lors que d’autres palmes, par là aussi très distinguées. Et pourtant, il y a quelque chose actuellement vulgaire dans l’idée du mimosa ; c’est une fleur qui vient d’être vulgarisée.
… Comme dans tamaris il y a tamis, dans mimosa il y a mima.
Tout d’abord, il faut noter que le mimosa ne m’inspire pas du tout. Seulement, j’ai une idée de lui au fond de moi qu’il faut que j’en sorte parce que je veux en tirer profit.
Comment se fait-il que le mimosa ne m’inspire pas du tout – alors qu’il a été l’une de mes adorations, de mes prédilections enfantines ? Beaucoup plus que n’importe quelle autre fleur, il me donnait de l’émotion. Seul de toutes il me passionnait. Je doute si ce ne serait pas par le mimosa qu’a été éveillée ma sensualité, si elle ne s’est pas éveillée aux soleils du mimosa. Sur les ondes puissantes de son parfum je flottais, extasié. Si bien qu’à présent le mimosa, chaque fois qu’il apparaît dans mon intérieur, à mon entour, me rappelle tout cela et fane aussitôt.
Il faut donc que je remercie le mimosa. Et puisque j’écris, il serait inadmissible qu’il n’y ait pas de moi un écrit sur le mimosa.
Mais vraiment, plus je tourne autour de cet arbuste, plus il me paraît que j’ai choisi un sujet difficile. C’est que j’ai un très grand respect pour lui, que je ne voudrais pas le traiter à la légère (étant donné surtout son extrême sensibilité). Je ne veux l’approcher qu’avec délicatesse…
{Francis Ponge (1889-1998) ~ La Rage de l’expression , 1952}