Association Encrier - Poésies

Rencontre avec André Breton Rencontre avec André Breton :Vigilance (in Le révolver à cheveux blancs (1932))

ANDRE BRETON - VIGILANCE (In Le revolver à cheveux blancs)

À Paris la tour Saint-Jacques chancelante

Pareille à un tournesol

Du front vient quelquefois heurter la Seine et son ombre glisse imperceptiblement parmi les remorqueurs

À ce moment sur la pointe des pieds dans mon sommeil

Je me dirige vers la chambre où je suis étendu

Et j’y mets le feu

Pour que rien ne subsiste de ce consentement qu’on m’a arraché

Les meubles font alors place à des animaux de même taille qui me regardent fraternellement

Lions dans les crinières desquels achèvent de se consumer les chaises

Squales dont le ventre blanc s’incorpore le dernier frisson des draps

À l’heure de l’amour et des paupières bleues

Je me vois brûler à mon tour je vois cette cachette solennelle de riens

Qui fut mon corps

Fouillé par les becs patients des ibis du feu

Lorsque tout est fini j’entre invisible dans l’arche

Sans prendre garde aux passants de la vie qui font sonner très loin leurs pas traînants

Je vois les arêtes du soleil

À travers l’aubépine de la pluie

J’entends se déchirer le linge humain comme une grande feuille

Sous l’ongle de l’absence et de la présence qui sont de connivence

Tous les métiers se fanent il ne reste d’eux qu’une dentelle parfumée

Une coquille de dentelle qui a la forme parfaite d’un sein

Je ne touche plus que le cœur des choses je tiens le fil

Commentaires 1

  • Sylvain FOULQUIER

    J'adore ce poème. C'est selon moi le second poème le plus beau qu'ait écrit André Breton (le premier étant évidemment L'Union Libre). Les autres poèmes du Revolver à cheveux blancs ont souvent un style un peu empesé et ont du mal à décoller et à émouvoir, mais dans Vigilance on retrouve enfin l'état de grâce du 1er manifeste du surréalisme et de Nadja. Un joyau.

    Sylvain FOULQUIER