Encrier 87

Textes du 6 novembre 2021 Texte de Fabienne du 6 novembre

Longtemps elle a cherché la bonne manière d’avancer.

Petite, elle galopait assise à l’arrière de la voiture familiale sur un cheval blanc monté par un double d’elle-même à quelques mètres de de la vitre, tiraillée entre la griserie qui pouvait emmener cheval et cavalière à une vitesse bien supérieure à celle de la voiture et la crainte de les perdre de vue. Dès qu’elle sut que la terre était une boule elle en fit le tour, accrochée à la crinière. Et pendant quelques secondes elle perdait de vue le cheval blanc. Elle explora le monde entier des millions de fois. Jusqu’à se lasser des voyages immobiles.

Lui vint alors l’idée de quitter seule la maison familiale.

C’était à la veille de l’âge raisonnable. Tu as bientôt l’âge de raison c’est ce qu’on lui disait.

Elle était partie, sans cheval imaginaire, sans tenir la main d’une grande personne, sans personne du tout. Elle était passée dans la rue Pontier, s’était dirigée vers la rivière, l’avait dépassée.

Ses pieds étaient en accord avec son souffle. Ses poumons explosaient.

Elle cueillit une fleur qu’elle appela sa fleur de voyage et rentra.

Personne ne sut jamais qu’elle avait sauté ce jour-là comme le petit aigle de son nid.


Puis son corps s’étira vers le haut, sa tête s’éloigna de ses pieds. Elle devint gauche et maladroite.

C’est alors qu’elle commença de chercher la bonne manière d’avancer.


Depuis ses premières courses à cheval elle n’avait cessé de croire que le mouvement prend racine dans l’immobilité.

Elle s’appliqua alors à ne pas se balancer dans la marche, garder les bras le long du corps, glisser presque, décollant à peine les semelles du sol. Elle glissa presque. Se sentit cygne.

Mais ses pieds accrochaient trop souvent la terre irrégulière. Elle abandonna l’immobile impossible. Elle risqua les grandes enjambées. Et puis les petits pas, elle tenta les petits pas. Les jambes à son cou aussi elle tenta. Le clopinement, le dandinement, le sautillement, la vive allure, le canoë, le patin à roulettes, les raquettes sur la neige...


Elle a tout essayé, méthodiquement.

Elle a usé l’intelligence de son corps et de son esprit dans la recherche du bien avancer.

Elle est allée jusqu’à explorer sur un pied - l’autre ne se posant pas tout à fait - le déséquilibre.

Là-dedans elle bascula. Là-dedans elle aima la fin du mot : libre.

S’est alors interrogée sur ce que la liberté avait à voir avec la raison. S’est interrogée sur la fragilité du déséquilibre et ce qu’il pourrait avoir à voir avec la liberté. Sur ce en quoi la raison avait pu l’amener, par usure, au déséquilibre qui lui fit apparaître cette fragilité du corps et de l’esprit. Et au-delà la possibilité de la liberté. Qui n’est ni plus ni moins que son point de départ. Son double sur cheval blanc.

Se demande alors si la raison a à voir avec la déraison. S’il existe un âge de déraison, dont on ne parle pas aux petits enfants. Se demande s’il existe autre chose qu’avancer. Autre chose qu’aller quelque part en ligne horizontale.

...

Elle regarde l’horizon. Le fixe longuement, profondément.

...

Maintenant c’est ça que je veux dit-elle. Ce que je veux, c’est dégringoler.

Commentaires 1

  • désert

    Ton texte me dit que ton héroïne cherche la VOIE : je pense qu'
    elle a toujours su que le Voie est sous ses pieds, que la demeure de l'homme c'est l'horizon, qu'elle n' existe que par sa marche en avançant sur sa route.

    Implicitement , ne lui conseilles-tu pas sans le dire
    d'aller faire un tour dans un désert:

    en effet, là , je crois qu'elle pourrait y  résoudre une partie de son équation :
    "liberté- raison - déraison - déséquilibre - équilibre - fragilité"

    et qu"elle y "dégringolerait " à son aise en se dépouillant de plein d'oripeaux

    et qu'elle y découvrirait de nouveaux chemins vers la Voie à laquelle elle aspire.

    désert

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