"...celui qui défie les chevaux..."
Son histoire commence en 1904. Issu d'une famille aussi nombreuse que modeste, il alla tout
de même à l'école. Il savait parfaitement lire, écrire et calculer. Esprit vif et observateur,
il fut confié, à 14 ans, à un haras pour faire le palefrenier et ensuite devenir lad, ce qui est
la marque d'une promotion sociale certaine et enviable.
Dès son arrivée au haras, Hippolyte, ainsi nommé en souvenir d'un arrière-arrière-grandpère
cuirassier tardif qui tomba à Waterloo en chargeant l'artillerie autrichienne, devint "Hippo"
simplement. Un sobriquet usuel et définitif qui lui va si bien qu'il lui collera longtemps.
Une précision s'impose: venu du grec ancien Hippolyte signifie "qui défie les chevaux" !
Au dessus il n'y a que lad ou jockey, mais pour être jockey il faut peser les 50 kgs, habillé...
.Lui, à 15 ans il pesait, déjà, 65 kgs, tare impossible à dissimuler quoi qu'on puisse faire.
Il fut donc garçon d'écurie pendant 10 ans, durant lesquels il ne quitta pas les rangées
de boxes, tellement proches, des yearlings destinés à écumer plus tard, Longchamp...
Il aimait son travail, la présence des chevaux, animaux amicaux avec leurs soigneurs qu'ils
voient chaque jour et dont ils connaissent les voix.
Il apprit en observant, il retint et se cultiva, il progressa, devint savant.
Tous les palefreniers vivaient, dormaient et mangeait sur place pour être disponibles à tout
moment, devant répondre à toutes les demandes : celles des lads, des jockeys, des vétérinaires
des propriétaires et d'autres encore, comme le sellier, le maréchal, les entraineurs...
Confort spartiate : le foin pour dormir (au fond des écuries) toilette vers 6H chaque matin
à l'aide des baquets d'eau de pluie. Matins, midis et soirs un grande gamelle de capilotade,
pour les 6 valets d'écuries, servis dans le magasin aux avoines et aux aliments équins.
Un salaire ? Non, mais...chaque mois une poignée de monnaie...Une aumône...
Le meilleur moment c'était les débuts d'après-midi quand les chevaux sont dans leur box
se reposant de l'entrainement matinal à l'issue duquel les palefreniers les bouchonnaient,
les brossaient et les étrillaient longuement. Travail fatigant et salissant les jours de pluie.
Début d'après-midi, avec les copains, c'était foot dans la carrière sablonneuse et vide.
Valets contre lads... Petit bonheur d'une vie règlée, routinière et partant monotone...
Les jours pluvieux, nombreux en Normandie, pas de foot. Un jour pareil, désoeuvré, il fouina dans
les recoins d'un grenier encombré, au dessus des écuries. Là il mit la main sur une malle délabrée
contenant un stock de livres poussiéreux.
Commença alors, pour lui, une autre éducation avec la fréquentation d'Hugo et de Balzac.
Dans cette vie chevaline, le pire, c'était l'odeur ! Avec toujours les mêmes vêtements sales,
malodorants, saturés de sueur de cheval, d'effluves de crottin et de foin fragrant.
Dans les débuts peu y prennent garde.Vers 16 ans quand les années déposent leurs rendez-vous
naturels exigeants...Impossible d'aller, les dimanches-tantôt, tenter de les assouvir au guinche
local en trimballant une pareille infection olfactive !
Au bout de dix ans de cet apprentissage laborieux, ponctué de tentations de fugues inabouties,
il fut versé dans la cavalerie légère à Saumur pour préparer les montures de cavaliers démodés
jetés dans cette première guerre industrielle face aux mitrailleuses teutones.
Brigadier au retour de "sa" guerre il devint lad compte tenu de son bon travail et d'initiatives
heureuses qui furent remarquées.
Sa nature expansive le servit grandement dans son nouveau métier. Grand, frôlant les 65 kilos,
musclé il faisait un très bon jockey d'entrainement. Les purs-sang sont entrainés 'lourd' pour
gagner en vélocité avec leurs jockeys plus légers lors des courses.
Un lit dans le dortoir, accès à une douche froide, vêtements convenables, cantine avec le même
régime de ce ragoût, ultime avatar venu des cuisines patronales.
Et puis 'on' passait des pièces aux billets...
Chaque matin l'entrainement des chevaux prenait plusieurs heures. Assistance attentive au
vétérinaire, rapport auprès de l'adjudant du haras.
Hippo le lad était assigné au service des chevaux et des jockeys chaque jour de courses prévues.
Journées longues mais variées, rencontres utiles dans la société foisonnante des hippodromes
où l'argent circule facilement et beaucoup...
Hippo était en âge de se distinguer, de se faire des relations utiles et agréables...Il fréquenta
ce milieu interlope où se croisent joueurs, parieurs et escrocs de tous poils. Dans le monde des
courses hippiques règnent népotisme, corruption et, surtout, l'exploitation des gogos, le PMU...
Hippo, s'en mêla...Donna sa démission et utilisa ses facilités naturelles et ses connaissances en
chimie équine pour aider aux magouilles portant sur les outsiders, les 20 contre 1 ...
Pendant plusieurs années son 'bisness' marcha bien. Rapportant bien et permettant une vie
confortable ce qui le rendit aveugle et sourd aux signes du Destin . . .
Hippo perchait vers la Bastoche, quartier d'apaches, de filles et de troquets mal fâmés.
Un jour, la chance tourna... Les dieux l'abandonnèrent et c'est Hermès-psychopompe qui fut
chargé d'informer "Hippolite-celui-qui-défie-les-chevaux" que son crédit était à découvert.
Hippo négligea l'avis qu'il prit pour un cauchemar malencontreux dû aux excès de la veille.
Le dimanche suivant, à Maisons-Lafitte, un nedjdi aux quatre balzanes, dont c'était la dernière
course avant la retraite, fut gavé afin de faire placé...Effectivement le bourrin finit à la
troisième place rapportant bien car classé à 30 contre un...
Mais les commissaires à l'arrivée remarquèrent l'écume rosée qui couvrait ses naseaux. Conduit
au paddock le cheval tomba et ne se releva plus. Il fut abattu d'une seule balle derrière l'oreille.
Jockey, lad et entraineur furent convoqués. Ils désignèrent Hippo comme étant le fournisseur
de la potion dopante, gagnante et mal dosée...
Arrêté , Hippo dut avouer. Il partit pour la Santé comme vers une plaisanterie ! Il y restera un an.
En sortant, il était Hippo le gris, l'aigri, l'amaigri. De chutes en glissades , il tomba si bas qu'il devint
clochard à la Bastoche. Après quelques semaines il avait retrouvé l'odeur infecte de ses débuts...
Hippo passa l'hiver venteux et pluvieux dans l'entrée du métro. Il n'en sortait que pour faire la manche.
Mais un jour un vieil ami lad, du temps heureux du haras, le rechercha à sa dernière adresse connue.
Le logeur ne put qu'indiquer la direction du métro proche où la mendicité rapporte un peu...
Le lad en retraite s'informa auprès des mendigots de l'endroit, disant qu'il voulait aider Hippo, son ami...
L'un d'eux, hirsute, le renseigna : "Hippo ? Là-bas ! Va voir ! Hippo campe dans le métro ! "
@
Commentaires 3
oui, je commence à comprendre que je suis systématiquement embarquée dans les narrations du conteur et raconteur Daniel. Maille à maille. La narration fait magie chez Daniel, un univers se pose, compose, et ce n'est que dur travail de fond chaland des océans. quelle forme de passeur êtes-vous Monseigneur?
Avec ta belle histoire , on pourrait faire un film : "Destin de celui qui défiait les chevaux" ; j'y ai trouvé un plaisir de lecture .
Merci Daniel
Quel effet aura --si elle a lieu --la rencontre entre Hippo et son vieil ami ?
L'ami va-t-il l'aider à sortir de la mouise (si tel est le désir de Hippo et s'il y a rencontre)?
Daniel aura-t-il envie de laisser son histoire ouverte , ou aura-t-il envie d'éclairer les curieux (dont je suis) sur la suite du destin de Hippo ?
Quelle aventure de faire vivre des personnages !