Encrier 87

Textes de Daniel Texte hors atelier de Daniel : 1800 l'année de Julie

L'histoire de Julie est inspirée d'une chanson portant son nom, qui eut dans les années 50/60 un certain succès. Elle était interprétée par Michèle Arnaud (1919-1998)

1800 : l'année de Julie.

En ce jour doux et ensoleillé Julie rêve. Elle reprend une pensée qui lui est familière, le nom de sa famille, "les" Bélontès...Elle sait depuis quelques temps, en fouinant dans l'antique bibliothèque familiale, que l'origine du nom vient d'un lieu curieusement nommé venant d'une époque fort lointaine : "les belles hontes" . . . Personne ne sait plus dire pourquoi ce lieu, à l'écart d'un village situé au coeur de l'ancienne Burgondie, s'appelait ainsi. La mémoire malicieuse des villageois, au fil des générations, rapporte que cela aurait eu à voir avec l'usage d'un lieu favorisant rencontres vespérales et hors sacrements... Aujourd'hui le village est devenu un joli bourg avec son marché mensuel et avec, en son centre, une église abbatiale entourée de maisons à colombages, et au milieu coule une rivière.

En 986, c'était Otto-Wilhelm, supposé baron , qui y régnait benoitement. Il ne laissa aucune descendance ni aucun souvenir. Mais c'est en 1095 que commence l'histoire qui va nous intéresser ici. Histoire, hésitante au départ celle des Bélontés, car il fallut bien du temps pour passer des belles-hontes aux bellhontes, puis aux bellontes et, enfin, les Bélontès !

Un prêche du Pape Urbain II en 1095 donc, fit se constituer la première croisade conduite par Adhémar de Monteil, évêque de son état. Là entre en scène le plus lointain ancêtre de Julie : Adrien, paysan pauvre du petit hameau des belles hontes, nom obscur lié, peut-être, à des inconduites lointaines de personnes du sexe... Il était le dernier d'une fratrie de dix garçons et filles tous baptisés et aux- quels il ne ressemblait pas...tous malingres et noirs de poil...lui trapu et fort en tout , la crinière roussâtre...

Né tardivement, en 1078, un an bientôt après le décès de son père éventré par un sanglier mâle rendu furieux et qu'il entendait servir au coutelas , Adrien bénéficia d'une erreur de comptage du curé qui s'embrouilla dans les dates de la gésine maternelle, et il fut acquis que le passage par le pays d'une compagnie de mercenaires, des Helvètes brutaux et ivrognes , n'était pour rien dans la naissance de l'enfant qui avait pris son temps pour apparaître enfin dans la lumière de la religion... Quand les sabreurs entrèrent le soir dans le village ce fut, d'abord, la peur, puis comme ils investirent seulement la modeste auberge pour y ripailler et s'y enivrer en jetant force pièces dans les mains de qui les tendaient, ce fut la joie ... Mais, tard dans la nuit, le mercantilisme céda la place à la crainte, les maisons furent barricadées et les soudards se répandirent aux alentours où , parait-il, ils se livrèrent aux exactions habituelles de ceux qui ont la force pour eux...surtout dans les maisons sans mari...

Toujours est-il que le garçon, d'une fort robuste constitution, prit la Croix l'année de ses 18 ans, en 1096, et partit vers la Terre Sainte. En route il apprit à manier les armes avec des spadassins, mercenaires en quête d'indulgences. Le spadone- la lourde épée à deux mains- lui convint car, pour son jeune âge, sa force était stupéfiante, acquise en abattant nombre d'arbres. Elle faisait l'admiration de tous ; il s'illustra dans moult combats dans lesquels beaucoup d'impies furent occis par ses soins. Sachant, un peu, lire et écrire il fut adoubé, le soir d'une bataille victorieuse, Chevalier du Saint-Sépulcre avec apanage sur son hameau natal et droit de porter ses propres couleurs. Il fit le choix d'une large épée d'argent sur fond de sable au chef de gueule , sur les avis d'un héraldiste du Vatican, suiveur intéressé de la croisade papale...

Adrien revint donc de sa longue absence avec le nom de Chevalier des Belles-Hontes du Saint-Sépulcre nanti de la lettre patente portant cachet du Duc de Burgondie sur injonction papale ordonnée par Adhémar, évêque. Sa réputation d'invincibilité lui valut le surnom d'Achille...Il retrouva sa vie d'avant la Croisade et repris, tel Cincinnatus, sa charrue, fonda une famille et régna sur ses frères et soeurs qui vivaient encore au hameau et qui devinrent une sorte de cour, satisfaits d'être protégés par Antée lui même.. . Au fil des temps la Chevalerie passa de mâle en mâle, la loi salique obligeant. Toutefois une coutume s'instaura concernant les noms de baptême des aînés de la lignée des futurs Bélontès. Il semblerait qu'aujourd'hui on attribue à Adrien la mise en pratique de ce qui devint au fil des siècles une marque dis- tinctive de cette famille.Ainsi chaque chevalier héritant devait être muni de trois prénoms commençant par 'A'. Il y eu ainsi au fil des générations des foules d'Aulus, d'Agrippa, d'Achille, d'Abélard, d'Aldebert, d'Albert, d'Arthur, d'Auguste, d'Adam, d'Antoine et d'Auber. Le dernier vivant étant le père de Julie qui, lui, porte les illustrissimes noms d'Auguste, d'Antoine et d'Achille.

"Ce matin de Mai est un bonheur ! si beau, si doux, si calme...la messe expédiée à moi la journée ! Paresser dans l'herbe, rêvasser dans le ciel, pensées caressées...et...ah ! s'il n'y avait toujours ce repas dominical avec l'ennuyeux invité habituel...si mon frère était avec nous...quelle allure il a dans son uniforme de cornette des Chevau-Légers...et toutes ces histoires de campagnes, de combats ! les prises de guerre, les trophées, le droit des vainqueurs !"

L'histoire de sa famille lui était, en partie, connue grâce aux grimoires, mémoires et histoires. Les poètes de la Pléiade étaient ses amis, les mathématiques l'étaient peu, et le latin lui servait pour amadouer son répétiteur-confesseur... Mais la rhétorique, véritable passe d'armes verbale , la passionnait et mettait sa tante, Noëmie-Adélaïde, en colère une fois par jour.

"Julie ! raisonneuse ! frondeuse ! esprit rebelle ! forte tête ! obéissez ! et taisez vous je vous prie Mademoiselle !"

Avec cela, monter à cheval, manier le fleuret , tirer l' épée , adroite au pistolet d'arçon , étaient des occupations viriles que son père, le Chevalier de Bélontès , constatant la pugnacité physique de sa cadette, avait encouragé . Son paternalisme débonnaire lui faisait regretter de ne pas avoir deux fils. Le second, il en était certain, aurait fait un hardi sabreur.

"...déjà midi ! cette cloche vraiment ! matin et soir ! il faut que je rentre, tante Adélaïde va me gourmander...pour la seconde fois de ce jour...ce matin, c'était pour avoir trainé au lit...tant pis ! avoir dix sept ans depuis la sainte Adèle me donne bien le droit de décider seule...pour moi..."

Courant pieds nus, jupes relevées, Julie entra en trombe dans la maison familiale, une Commanderie templière construite en 1225 et attribuée en 1315 par Philippe-le-Bel à Aldebert- Adam- Arthur, un chevalier fidèle à son Roy. Ce descendant d'Adrien était bien en accord avec son suzerain que dépouiller ces prétendus Chevaliers-du-Temple n'était que juste rétribution pour lui, loyal féal. Agrandie au fil des siècles et des fortune diverses, adornée de tourelles et de poivrières, elle devint le château des Chevaliers des Belles- Hontes. Sa fière apparence n'était que le reflet d'une allégeance servile a un pouvoir royal de droit divin. La duègne, du haut de l'escalier majeur, attendait impatiente irritée, grondante :



"Julie ! de qui vous moquez vous ? Vous étiez sur le pré vous donnant en un spectacle indécent! N'allez pas Julie vous rouler dans l'herbe quand Monsieur l'Abbé déjeune au château.

Et n'allez pas non plus jouer aux proverbes avec les bergers aux tendres flutiaux ! Mademoiselle faites vite nous vous attendons !

Dans la grand-salle du château attendent , autour de l'Abbé-curé, ses parents, un couple de métayers méritants, et l'acariâtre tante qui, en aparté, tance à nouveau sa nièce qui, mine compassée, feint d'écouter en retenant un sourire moqueur .

"Et je vous défend , vilaine petite, nue dans la rivière au milieu du bourg, ne riez-pas ! vous le fîtes récemment !''

Que vous disiez aux pêcheurs, ces satanés gredins buveurs :je suis une truite, me pêche qui veut m'apprendre l'amour !

Non ! cela suffit ! Et les yeux baissés , les genoux serrés, faites de l'aquarelle, de la dentelle, de la pâtisserie, de la tapisserie mais n'allez pas, surtout, courir le guilledou avant de prendre époux !.

Julie, regard baissé, mine faussement contrite vint rejoindre le groupe des convives dominicaux au milieu duquel son père le Chevalier de Bélontès racontait, pour la millième fois, comment, en 1745, à Fontenoy, son propre père le chevalier-colonel du Régiment Burgonde reçut du Roy le grade de général et obtint de modifier son nom qui devint , enfin et définitivement "Bélontès"; Chevalier Abélard-Aloïs-Alcidede Bélontès, général des Gardes royales avec la rente subséquente...

Et tout cela pour avoir bousculé , à la tête de sa troupe de Bourguignons mal habillés, des Hanovriens qui menaçaient d'enlever la redoute des canons français par trop exposés , car mal protégés par un thalweg à sec. Il y massa son demi-millier d'hommes, tous à demi-ivres, car il veillait toujours à ce qu'ils ne manquent jamais de ce vin, couleur sang-de-boeuf, qui trouble les esprits à commencer par ceux des soudards helvétiques 650 années plus tôt... (vous vous souvenez ?)

Surgissant face aux Teutons, comme des diables sortant d'un bénitier, ils les surprirent tant qu'ils les poussèrent à la débandade ! Bel exemple de la "furia francese" !

"oui...pour la baignade dans la rivière, oui je l'ai toujours fait, oui j'énerve ces idiots de villageois, oui... si je suis nue c'est au milieu de l'eau...et cachée jusqu'au cou...Mais quand Marie-Victoire, ma folle cousine, vient en visite c'est autre chose...



Nous allons jusqu'aux étangs des Bois-Maudits...Nos haquenées vont l'amble et la demi-heure de chemin à cette allure procure un curieux abandon que le bain astringent estompe prestement...Viendra t'elle cette saison ? Je l'espère, car on y rencontre souvent des bergers et des bergères qui ymènent leurs troupeaux s'abreuver, les plus âgés ont vingt ans...Le soir, au lit, nos fous rires avec Marie, ma cousine, ma belle lurette..."

L'après-midi se trainera en travaux d'aiguille et, vers le soir, la visite de sa duègne, courroucée ainsi qu'à l'accoutuméeapportera un semblant d'animation...

"J'avais à vous dire, Julie, qu'avec Ferdinand vous n'êtes plus d'âge à vous trémousser folle sur ses genoux en lui agaçant le bout des moustaches pour voir si ça pique ou bien si c'est doux...hypocrite donzelle ! et quand vous voyez son trouble Julie ne demandez pas d'un air innocent : 'dîtes moi cousin si je suis jolie et si je fais plus que mes dix-sept ans ?' au lieu d'un pareil dévergondage faites plutôt de l'aquarelle ou de la dentelle, mettez vous à la pâtisserie ou à la tapisserie ! que sais-je ! et s'il vous plait genoux serrés, les yeux baissés et n'allez pas courir le guilledou avant de prendre époux!"

Enfin seule, Julie admet que, oui, que sa tante , dame de raison à raison...mais...sa nature, le printemps, les fleurs, les flûtes, la vie campagnarde si explicite sur les faits de la chose vivante qui ... (soupirs...) et peut-on être sérieuse quand on a dix-sept ans ?

Ferdinand est à part, car cadet d'une famille dont l'ainé est mort en campagne militaire, il n'ira pas aux armées .Il doit hériter du domaine paternel et vivre des rentes versées par les métayers, encore qu'avec ce Premier Consul au pouvoir pouvait-on savoir?Le moment est incertain. On dit que l'Histoire hésite...

Ah ! Ferdinand...ma tante Adélaïde n'a pas tort...c'est avec lui il ya...deux ans maintenant que j'ai découvert l'intérêt de forcer la bête retranchée dans sa bauge...une bête cachée et sournoise...aujourd'hui c'est encore plus drôle ! très amusant quand il me jette à bas de ses genoux pour s'esquiver un moment...pour je ne sais quoi d'urgent...

Il doit partir à Beaune pour des études de Droit, grand bien lui fasse ! Un notaire , un avoué, non ! très peu pour moi !

Ma cousine me fait rire en parlant d'un mariage avec constat d'huissier lors de la première nuit !"

Vers le soir, après le diner, Julie vit entrer dans sa chambre la sombre Noëmie-Adélaïde. Elle pensa qu'une nouvelle leçon de morale chrétienne à l'usage des jeunes filles de bonnes familles et qu'on dit bellement dotées allait lui être dispensée...

Sa surprise n'en fut que plus forte en entendant sa Tante lui servir un nouveau et curieux discours...



"Ecoutez moi ! un matin Julie, blanche à la chapelle, devant la famille, vous direz ce oui qui vous livrera, timide gazelle, aux tendres assauts de votre mari. Vous me comprenez Julie, j'espère Dès le lendemain vous serez tranquille je ne serai plus là pour vous gronder...

Vous pourrez alors, femme d'imbécile, prendre autant d'amants que vous le voudrez...Mais, en attendant, Mademoiselle, n'est-ce pas ? dentelle, aquarelle, tapisserie et pâtisserie et que nenni du guilledou !

Si je vous dit cela Julie, c'est qu'à table après votre départ il a été question de votre mariage...un prétendant s'annonce...Il est fils de baron, riche et...benêt...

Sachez le Julie, car Monsieur le Curé est en charge de voir sa famille pour des accordailles raisonnables entre les deux parties.

Soyez assurée que votre dot servira peu, et n'écoutez point icelles qui disent et prétendent, ces bécasses, qu'une femme honnête n'a point de plaisir, sottises de pimbêches ignorantes des mystères de la vie, la vraie..."

Sa Tante, Noëmie-Adélaïde, la soeur de sa mère, à la cinquantaine sonnée, veuve, peu fortunée et dédiée à la surveillance des jeunes personnes du sexe en mal de sentiments et en proie aux démons intérieurs, venait de franchir une limite que Julie n'imaginait pas...Elle resta muette, interdite, ébahie...



Julie n'en revenait pas des conseils étonnants mais avisés , fruits d'une vie de jadis...une vie qui fut celle d'une Noëmie jeune, fringante, libre et amoureuse... Elle se prit à rêver...

Quelle sorte de jeune femme avait été sa tante ? Tant d'années auparavant...Les mots et le ton ne pouvaient tromper... Se pouvait-il que les femmes se passassent ainsi les mêmes et bonnes vieilles recettes de vie à travers le Temps et les Âges ?



Et elle, Julie, que serait-elle avec ses propres enfants ?



Serait-elle observante ou permissive ? Puritaine ou libertine ?



Etre à la fois une épouse tenant son rang et une femme risquant les flammes des Délices...



"Ah ! que, vite, Marie arrive ! En aurons des choses à nous dire des commentaires à faire...entre cousines...au lit le soir...je vais lui écrire car le sujet en vaut la plume et le jeu la chandelle !"

Commentaires 1

  • Alpico

    L'indication donnée par Daniel sur l'origine (partielle) de son inspiration me pousse à mettre la chanson de Michèle Arnaud ( paroles de Maurice Vidallain) :

     

     

     

    Bon vent Julie! 

     

    (La Révolution ne semble pas avoir beaucoup  troublé les affaires de sa famille (et  ....aussi celles de Monsieur le curé))

     

     

     

    Alpico

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