Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Oscar Milosz Rencontre avec Oscar Milosz : Symphonie de septembre I

SYMPHONIE DE SEPTEMBRE I


  
Soyez la bienvenue, vous qui venez à ma rencontre


Dans l’écho de mes propres pas, du fond du corridor obscur et froid du temps.


Soyez la bienvenue, solitude, ma mère.


Quant la joie marchait dans mon ombre, quand les oiseaux



  
Du rire se heurtaient aux miroirs de la nuit, quand les fleurs


Quand les terribles fleurs de la jeune pitié étouffaient mon amour


Et quand la jalousie baissait la tête et se regardait dans le vin,


Je pensais à vous, solitude, je pensais à vous, délaissée.



  
Vous m’avez nourri d’humble pain noir et de lait et de miel sauvage ;


Il était doux de manger dans votre main, comme le passereau,


Car je n’ai jamais eu, ô Nourrice, ni père ni mère


Et la folie et la froideur erraient sans but dans la maison.


Quelquefois, vous m’apparaissiez sous les traits d’une femme,


Dans la belle clarté menteuse du sommeil. Votre robe


Avait la couleur des semailles ; et dans mon cœur perdu,


Muet, hostile et froid comme le caillou du chemin,



  
Une belle tendresse se réveille aujourd’hui encore


À la vue d’une femme vêtue de ce brun pauvre,

Chagrin et pardonnant : la première hirondelle


Vole, vole sur les labours, dans le soleil clair de l’enfance.



  
Je savais que vous n’aimiez pas le lieu où vous étiez


Et que, si loin de moi, vous n’étiez plus ma belle solitude.


Le roc vêtu de temps, l’île folle au milieu de la mer


Sont de tendres séjours ; et je sais maint tombeau dont la porte est de rouille et de fleurs.


Mais votre maison ne peut être là-bas où le ciel et la mer


Dorment sur les violettes du lointain, comme les amants.


Non, votre vraie maison n’est pas derrière les collines.


Ainsi, vous avez pensé à mon cœur. Car c’est là que vous êtes née.



  
C’est là que vous avez écrit votre nom d’enfant sur les murs.


Et, telle une femme qui a vu mourir l’époux terrestre,


Vous revenez avec un goût de sel et de vent sur vos joues blanches


Et cette vieille, vieille odeur de givre de Noël dans vos cheveux.



  
Comme d’un charbon balancé autour d’un cercueil


De mon cœur où bruit ce rythme mystérieux


Je sens monter l’odeur des midis de l’enfance. Je n’ai pas oublié


Le beau jardin complice où m’appelait Écho, votre second fils, solitude.



  
Et je reconnaîtrais la place où je dormais jadis


À vos pieds. N’est-ce pas que la moire du vent y court encore


Sur l’herbe triste et belle des ruines, et du bourdon velu


Le son de miel ne s’attarderait plus dans la belle chaleur ?



  
Et si du saule tremblant et fier vous écartiez


La chevelure d’orphelin : le visage de l’eau


M’apparaîtrait si clair, si pur ! Aussi pur, aussi clair


Que la Lointaine revue dans le beau songe du matin !



  
Et la serre incrustée d’arc-en-ciel du vieux temps


Sans doute abrite encore le cactus nain et le faible figuier


Venus jadis de quel pays de bonheur ? Et de l’héliotrope mourant


L’odeur délire encore dans les fièvres d’après-midi !



  
Ô pays de l’enfance ! ô seigneurie ombreuse des ancêtres !


Beau tilleul somnolent cher aux graves abeilles


Es-tu heureux comme autrefois ? et toi, carillon des fleurs d’or,


Charmes-tu l’ombre des collines pour les fiançailles



  
De la Dormeuse blanche dans le livre moisi


Si doux à feuilleter quand le rayon du soir

Descend sur la poussière du grenier : et autour de nous le silence


Des rouets arrêtés de l’araignée fileuse. — Cœur !


Triste cœur ! le berger vêtu de bure

Souffle dans le long cor d’écorce. Dans le verger

Le doux pivert cloue le cercueil de son amour

Et la grenouille prie dans les roseaux muets. Ô triste cœur !


Tendre églantier malade au pied de la colline, te reverrai-je

Quelque jour ? et sais-tu que ta fleur où riait la rosée

Était le cœur si lourd de larmes de mon enfance ? ô ami !

Et toi, sage fontaine au regard si calme et si beau,


Où se réfugiait, par les chaleurs sonnantes

Tout ce qui restait d’ombre et de silence sur la terre !

Une eau moins pure coule aujourd’hui sur mon visage.


Mais le soir, de mon lit d’enfant qui sent les fleurs, je vois

La lune follement parée des fins d’été. Elle regarde

À travers la vigne amère, et dans la nuit de senteurs

La meute de la Mélancolie aboie en rêve !


Puis, l’Automne venait avec ses bruits d’essieux, de haches et de puits. Comme la fuite

Du lièvre au ventre blanc sur la première neige, le jour rapide

D’étonnement muet frappait nos tristes cœurs. — Tout cela, tout cela

Quand l’amour qui n’est plus n’était pas né encore.