Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Oscar Milosz Rencontre avec Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz (1877-1939) : Symphonie de novembre

OSCAR VENCESLAS DE LUBICZ-MILOSZ

Poète d'origine lituanienne , petit-fils d'un rabbin de Varsovie, venu à Paris à l'âge de douze ans, parlant plusieurs langues , grand voyageur , féru d'hébreu et de kabbale, a écrit toute son oeuvre en langue française . Esprit inclassable, métaphysicien de surcroît , sa réflexion l' a conduit à retrouver à son insu l'esprit de la relativité généralisée dans l'Épître à Storge (1917) , dont la prose associe une admirable clarté à la présence de l'Autre nommé Amour (Storge) .

Si son théâtre (1912-1914) fut le lieu de la métamorphose , à la suite de son expérience mystique de 1914 (où la lettre H –à signification ésotérique – est ajoutée à son nom ) , la poésie de Milosz rompt avec le symbolisme . Le poème devient le lieu privilégié de la connaissance (Cantique de la Connaissance , Nihumim , Adramandoni ) (texte de Alyette Degrâces , spécialiste de la pensée indienne) .

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SYMPHONIE DE NOVEMBRE

Ce sera tout à fait comme dans cette vie. La même chambre

Oui, mon enfant, la même. Au petit jour, l'oiseau des temps dans la feuillée

Pâle comme une morte : alors les servantes se lèvent

Et l'on entend le bruit glacé et creux des seaux


A la fontaine. O terrible, terrible jeunesse ! Cœur vide !

Ce sera tout à fait comme dans cette vie. Il y aura

Les voix pauvres, les voix d'hiver des vieux faubourgs,

Le vitrier avec sa chanson alternée,

La grand-mère cassée qui sous le bonnet sale

Crie des noms de poissons, l'homme au tablier bleu

Qui crache dans sa main usée par le brancard

Et hurle on ne sait quoi, comme l'Ange du jugement.

Ce sera tout à fait comme dans cette vie. La même table

La Bible, Gœthe, l'encre et son odeur de temps.

Le papier, femme blanche qui lit dans la pensée,

La plume, le portrait. Mon enfant, mon enfant !

Ce sera tout à fait comme dans cette vie ! -= Le même jardin.

Profond, profond, touffu, obscur. Et vers midi

Des gens se réjouiront d'être réunis là

Qui ne se sont jamais connus et qui ne savent

Les uns des autres que ceci : qu'il faudra s'habiller

Comme pour une fête et aller dans la nuit

Des disparus, tout seul, sans amour et sans lampe.

Ce sera tout à fait comme dans cette vie, La même allée :

Et (dans l'après-midi d'automne), au détour de l'allée,

Là où le beau chemin descend peureusement, comme la femme

Qui va cueillir les fleurs de la convalescence — écoute, mon enfant,


Nous nous rencontrerons, comme jadis ici ;

Et tu as oublié, toi, la couleur d'alors de ta robe ;

Mais moi, je n'ai connu que peu d'instants heureux.

Tu seras vêtu de violet pâle, beau chagrin !

Et les fleurs de ton chapeau seront tristes et petites


Et je ne saurai pas leur nom : car je n'ai connu dans la vie

Que le nom d'une seule fleur petite et triste, le myosotis,

Vieux dormeur des ravins au pays Cache-Cache, fleur

Orpheline. Oui oui, cœur profond ! comme dans cette vie.


Et le sentier obscur sera là, tout humide

D'un écho de cascades. Et je te parlerai

De la cité sur l'eau et du Rabbi de Bacharach

Et des Nuits de Florence. Il y aura aussi


Le mur croulant et bas où somnolait l'odeur

Des vieilles, vieilles pluies, et une herbe lépreuse.

Froide et grasse secouera là ses fleurs creuses

Dans le ruisseau muet.