Fractal-2001
La clairière
Pour atteindre, à la solitude profonde, le peintre, s'il veut réaliser son œuvre, doit entrer dans la nuit, et y tailler sa clairière d'herbe noire, de ciels chavirés, d'étoiles. Dès qu'il y pénètre, soit qu'il les recense, soit qu'il les détruise, soit qu'il les ajuste, il lui faut examiner tous les signes. Là où son pinceau, danse, arrivent des corps. Le soir, au bord d’une eau claire, viennent des nymphes musiciennes, qu’inquiètent des dieux rouges. Apparitios brèves, flammes torses, éclairs. Le peintre yi creuse des lieux où l'esprit se repose. Il est seul. Il rêve en silence et ses larmes altèrent le contour des figures qu'il fait naître. Un brouillard de tâches l'envahit. Une fois fixé, le cauchemar cesse. Le sommeil poursuit en songe l’'œuvre commencée le jour. Délivré des lois diurnes, le peintre, à un moment donné fait face à une matière incertaine, mouvante, perpétuellement changeante. Personne pour l'accueillir. Aucun langage pour la nommer. L'œuvre se ferme et devient impénétrable. Sans plus de guide, elle s'engage dans l'obscur. La sanction de l'époque ne se fait pas attendre. Ceux qui auront choisi d'emprunter cette voie encourent incompréhension, silence, oubli. Qu'est-ce qui fait que certains, malgré tout, persistent dans ce chemin ? Il faut souligner ce paradoxe : plus les peintres refusent de céder à la convention, à l’imitation, au redire, et de se soumettre aux codes recensés, plus ils s'avancent en des solitudes vierges, et plus le désir et la jouissance nés de leurs découvertes augmentent. Les intimidations du siècle ne sont rien face à l'enthousiasme incessant qu'ils y trouvent. un « impouvoir » fondamental se loge au fond de chaque œuvre vraiment audacieuse.
Jean-Paul Marcheschi-Peindre la nuit -page 38.2018-éditions La manufacture de l'image