Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Henri Michaux Rencontre avec Henri Michaux : INIJI

Écoutez Denis Lavant (lecture éphémère à Bordeaux en 2022)

INIJI

Ne peut plus Iniji


Sphinx, sphères, faux signes,

Obstacles sur la route d’Iniji


Rives reculent

Socles s’enfoncent


. Monde. Plus de monde

Seulement l’amalgame


Les pierres ne savent plus être pierres


Parmi tous les lits sur terre

où est le lit d’Iniji ?


Petite fille

petite pelle

Iniji ne sait plus faire bras


Un corps a trop le souvenir d’un autre corps

un corps n’a plus d’imagination

n'a plus de patience avec aucun corps




Fluides, fluides

tout ce qui passe



passe sans s'arrêter

passe




Ariane plus mince que son fil

ne peut plus se retrouver


Vent



vent souffle sur Araho

vent




Anania Iniji

Annan Animha Iniji


Ornanian Iniji

et Iniji n'est plus animée




Mi-corps sort

mi-corps mort




Annaneja Iniji

Annajeta Iniji

Annamajeta Iniji


La cruche ne verse pas le savoir

Le feu ne répand pas le lait


La clef,

où est la clef ?

Les insectes se la passent

Les balais la balaient


Toi, tu ; mais moi n’a

Ève est moi

orpheline de l'Idée

sortie, portes fermées


N'accroche plus, Iniji

Iniji parle en paroles

qui ne sont pas ses paroles


Djinns

Djinns Djinns

Djinns dinn dinn

qui inaniment Iniji


sans retour sur les rails d’Iritillilli


Que de frelons dans l'été de sa tête

N'y demeure plus, Iniji


si tu vas Nje

Nja va da

Si tu ne njas

njara ra pas


Remorques

qui la remorquent

qu’elle remorque




Où retourner ? Le cœur de la chambre est parti


Reprise toujours remise

Oh Dormir, dormir dans une amphore


Paralysie sur l'eau

paralysie sur les champs


Ici on reçoit le plein de la laideur

on subit l'assaut des aiguilles volantes


L’envers du parfum, ils ne savent pas, eux


La foudre n'est pas faite pour les têtes d’enfant

mais elle est là

jouant, pour elle, pour rien, pour faire tonnerre


Les montagnes de NIniji sont condamnées

Creux, décroissances, puits

À l'unisson le monde, les maux


La porte des voyages s'est refermée

Iniji est dans le tombeau


Mêlés à la mauvaiseté des fonds

les caractères opposés ont demeure en elle,

le torturant du feu avec le monotone de l’eau

avec l'inconsistant, l'insaisissable de l’air.


Cependant

sans vie le corps comme la rotation d'une meule

Là où il n'y a plus de clairière

plus de sources, plus d’offrandes

broderies sans fin de la toile de l'araignée invisible

ils font des arbres avec mes pensées

mais moi je ne puis plus rien en faire


Les grands dégoûts seulement

la continuelle continuation seulement


Les gammes ont avalé la mélodie

sous le plafond, le toit

sous la planche, le lit

dans l’étoupe des cloches


Une salamandre a mangé mon feu…


Ce cœur ne s'entend plus avec les cœurs ce cœur ne reconnaît plus personne dans la foule des cœurs

Des cœurs sont pleins de cris, de bruits de drapeaux


ce cœur n'est pas à l'aise avec cles cœurs

ce cœur se cache loin de ces cœurs

ce cœur ne se plaît pas avec ces cœurs.


Oh rideaux, rideaux et personne n'aperçoit plus Iniji


Stella, Stella constellée

tu ne te lèves plus pour moi, Aurora


Si lourds

si lourds

si mornes leurs monuments

si empires, si quadrilatères

si écraseurs barbares, si vociférants

et nous si nénuphar

si épis dans le vent

si loin du cortège

si mal dans la cérémonie



si peu de notre âge, et tellement toujours à la promenade


si farine

si blutée

et toujours dans le blutoir


des ailes de chauve-souris

sans cesse, nous battant au visage


Les fourches ont prévalu

et tout s’en est allé


les liens liant les lieux Lorenzo

Le cygne levé sur l'eau n'a pas dit « ma fille »


Par la faute des glaces

à cause du départ des esprits

tout est arrivé


Qui maintenant abordera l’île ?


Les formes s'en vont en flocons

plongent, s'étendent, se déforment

lunes sur les bords d'un nuage noir.


On retire ses gants pleins de sang

on retire sa chemise pleine de sang


ah lasciate

lasciate


Silence

silence

Laissez-moi nager dans les murs


J’entends des bruissements qui m’appellent

C'est lui. C'est donc l'heure.

Enfin !


Des miroirs nous reçoivent

Des miroirs, nous échangent

la perdue de ce monde, la mort de l'autre monde


Laissez-nous


Roraha, Roha Rohara Roran

Hohar hoan


Puis tout redevenu si dur

si repoussant


vieille main noueuse

sur un visage aux tempes veinées


Autrefois,

autrefois

le fleuve de joie n'avait pas son lit desséché


Iniji n'habitait pas derrière les portes de plomb

Ce n'était pas arrivé.

Vie, extrémité d'une branche...


Ah le terrible, le tremblant qui dissipe

tout l'univers si aisément


Ces grimaçants autour de moi

sans jamais disparaître

que veulent-ils ?


Rôles constamment redistribués

perdrix, feuilles, folles


Buée

plus rien que buée

buée peut-elle redevenir migration ?


Le fil passe

repasse

le fil sans fin qui me noue

cocon qui lutte pour m'entourer


Oh ! jugement

condamnation subie semblable à une syncope


vagues coupantes

doigts crochus

tout est maux pour l'orpheline


Iniji hôte éphémère des fosses,

des parents, des pinces, des mots




Voici la route lointaine qui ne ramène plus.


Le sein dort qui a donné le lait.

Le galbe l'a quitté... et l'opale...

Il n'est restait que l'ombre et le soupir du monde


Viens, viens, vent d'Aouraou

viens, toi !

Henri Michaux - Moments , VII- - 1931