Écoutez Denis Lavant (lecture éphémère à Bordeaux en 2022)
INIJI
Ne peut plus Iniji
Sphinx, sphères, faux signes,
Obstacles sur la route d’Iniji
Rives reculent
Socles s’enfoncent
. Monde. Plus de monde
Seulement l’amalgame
Les pierres ne savent plus être pierres
Parmi tous les lits sur terre
où est le lit d’Iniji ?
Petite fille
petite pelle
Iniji ne sait plus faire bras
Un corps a trop le souvenir d’un autre corps
un corps n’a plus d’imagination
n'a plus de patience avec aucun corps
Fluides, fluides
tout ce qui passe
passe sans s'arrêter
passe
Ariane plus mince que son fil
ne peut plus se retrouver
Vent
vent souffle sur Araho
vent
Anania Iniji
Annan Animha Iniji
Ornanian Iniji
et Iniji n'est plus animée
Mi-corps sort
mi-corps mort
Annaneja Iniji
Annajeta Iniji
Annamajeta Iniji
La cruche ne verse pas le savoir
Le feu ne répand pas le lait
La clef,
où est la clef ?
Les insectes se la passent
Les balais la balaient
Toi, tu ; mais moi n’a
Ève est moi
orpheline de l'Idée
sortie, portes fermées
N'accroche plus, Iniji
Iniji parle en paroles
qui ne sont pas ses paroles
Djinns
Djinns Djinns
Djinns dinn dinn
qui inaniment Iniji
sans retour sur les rails d’Iritillilli
Que de frelons dans l'été de sa tête
N'y demeure plus, Iniji
si tu vas Nje
Nja va da
Si tu ne njas
njara ra pas
Remorques
qui la remorquent
qu’elle remorque
Où retourner ? Le cœur de la chambre est parti
Reprise toujours remise
Oh Dormir, dormir dans une amphore
Paralysie sur l'eau
paralysie sur les champs
Ici on reçoit le plein de la laideur
on subit l'assaut des aiguilles volantes
L’envers du parfum, ils ne savent pas, eux
La foudre n'est pas faite pour les têtes d’enfant
mais elle est là
jouant, pour elle, pour rien, pour faire tonnerre
Les montagnes de NIniji sont condamnées
Creux, décroissances, puits
À l'unisson le monde, les maux
La porte des voyages s'est refermée
Iniji est dans le tombeau
Mêlés à la mauvaiseté des fonds
les caractères opposés ont demeure en elle,
le torturant du feu avec le monotone de l’eau
avec l'inconsistant, l'insaisissable de l’air.
Cependant
sans vie le corps comme la rotation d'une meule
Là où il n'y a plus de clairière
plus de sources, plus d’offrandes
broderies sans fin de la toile de l'araignée invisible
ils font des arbres avec mes pensées
mais moi je ne puis plus rien en faire
Les grands dégoûts seulement
la continuelle continuation seulement
Les gammes ont avalé la mélodie
sous le plafond, le toit
sous la planche, le lit
dans l’étoupe des cloches
Une salamandre a mangé mon feu…
Ce cœur ne s'entend plus avec les cœurs ce cœur ne reconnaît plus personne dans la foule des cœurs
Des cœurs sont pleins de cris, de bruits de drapeaux
ce cœur n'est pas à l'aise avec cles cœurs
ce cœur se cache loin de ces cœurs
ce cœur ne se plaît pas avec ces cœurs.
Oh rideaux, rideaux et personne n'aperçoit plus Iniji
Stella, Stella constellée
tu ne te lèves plus pour moi, Aurora
Si lourds
si lourds
si mornes leurs monuments
si empires, si quadrilatères
si écraseurs barbares, si vociférants
et nous si nénuphar
si épis dans le vent
si loin du cortège
si mal dans la cérémonie
si peu de notre âge, et tellement toujours à la promenade
si farine
si blutée
et toujours dans le blutoir
des ailes de chauve-souris
sans cesse, nous battant au visage
Les fourches ont prévalu
et tout s’en est allé
les liens liant les lieux Lorenzo
Le cygne levé sur l'eau n'a pas dit « ma fille »
Par la faute des glaces
à cause du départ des esprits
tout est arrivé
Qui maintenant abordera l’île ?
Les formes s'en vont en flocons
plongent, s'étendent, se déforment
lunes sur les bords d'un nuage noir.
On retire ses gants pleins de sang
on retire sa chemise pleine de sang
ah lasciate
lasciate
Silence
silence
Laissez-moi nager dans les murs
J’entends des bruissements qui m’appellent
C'est lui. C'est donc l'heure.
Enfin !
Des miroirs nous reçoivent
Des miroirs, nous échangent
la perdue de ce monde, la mort de l'autre monde
Laissez-nous
Roraha, Roha Rohara Roran
Hohar hoan
Puis tout redevenu si dur
si repoussant
vieille main noueuse
sur un visage aux tempes veinées
Autrefois,
autrefois
le fleuve de joie n'avait pas son lit desséché
Iniji n'habitait pas derrière les portes de plomb
Ce n'était pas arrivé.
Vie, extrémité d'une branche...
Ah le terrible, le tremblant qui dissipe
tout l'univers si aisément
Ces grimaçants autour de moi
sans jamais disparaître
que veulent-ils ?
Rôles constamment redistribués
perdrix, feuilles, folles
Buée
plus rien que buée
buée peut-elle redevenir migration ?
Le fil passe
repasse
le fil sans fin qui me noue
cocon qui lutte pour m'entourer
Oh ! jugement
condamnation subie semblable à une syncope
vagues coupantes
doigts crochus
tout est maux pour l'orpheline
Iniji hôte éphémère des fosses,
des parents, des pinces, des mots
Voici la route lointaine qui ne ramène plus.
Le sein dort qui a donné le lait.
Le galbe l'a quitté... et l'opale...
Il n'est restait que l'ombre et le soupir du monde
Viens, viens, vent d'Aouraou
viens, toi !
Henri Michaux - Moments , VII- - 1931