Écoutez Denis Lavant(lecture "éphémère" à Bordeaux en 2022)
Ne peut plus Iniji
Sphinx, sphères, faux signes,
Obstacles sur la route d’Iniji
Rives reculent
Socles s’enfoncent
. Monde. Plus de monde
Seulement l’amalgame
Les pierres ne savent plus être pierres
Parmi tous les lits sur terre
où est le lit d’Iniji ?
Petite fille
petite pelle
Iniji ne sait plus faire bras
Un corps a trop le souvenir d’un autre corps
un corps n’a plus d’imagination
n'a plus de patience avec aucun corps
Fluides, fluides
tout ce qui passe
passe sans s'arrêter
passe
Ariane plus mince que son fil
ne peut plus se retrouver
Vent
vent souffle sur Araho
vent
Anania Iniji
Annan Animha Iniji
Ornanian Iniji
et Iniji n'est plus animée
Mi-corps sort
mi-corps mort
Annaneja Iniji
Annajeta Iniji
Annamajeta Iniji
............
Extrait de l'article :Le Clézio, lecteur de H.Michaux de Jean-Michel Maulpoix' :
Le second texte (de Vers les icebergs), inspiré à Le Clézio par le poème « Iniji », est paru une première fois en juillet 1973 dans le dossier Michaux du numéro 168 de La Quinzaine littéraire, sous le titre « Un poème qui n’est pas comme les autres ». Son propos met en effet l’accent sur la singularité de ce poème « qui ne distrait pas, qui ne se dérobe pas », mais impose au lecteur une écoute et une entente toute particulière, comme si ces quelques pages lui donnaient tout à coup accès à la musique même du monde :
"Maintenant, après Iniji, on ne s’interroge plus. On a une certitude. On a vu quelque chose, on l’a suivie, comme si on était soi-même en train de la faire, comme si on avait trouvé l’ouïe pour écouter la musique du fond de l’eau."
Voilà en effet un poème, d’allure incantatoire, qui résonne comme une parole magique, une mélopée de type glossolalique, souvent imaginaire et parfois inintelligible, comme celle des aliénés ou des mystiques, et qui ne serait la parole de personne sinon d’une figure de petite fille évanouie, énigmatiquement venue de nulle part, incroyable petite indienne sortie du puits du temps… Voici donc, et Le Clézio y insiste, une parole ni menteuse ni empoisonnée, mais « respiratoire » et comme naturelle, où il semble que l’on assiste à la délivrance du langage, autant dire à sa mise au monde aussi bien qu’à sa pure offrande, parfaitement désintéressée, mais si impalpable et frêle que tout menace de la rompre…
Iniji pourrait être une amie de Naja Naja, de Mondo, Lullaby, Jon ou Lalla : elle appartient à la famille des enfants du désert et de la très haute altitude, de ceux qui connaissent « le secret pour devenir invisible ». Elle suppose le même dédain du savoir préconstitué et de la rhétorique, laissant place au libre déploiement d’une « langue insensée qui avance, magnifiquement autonome comme un corps de dauphin ».
Lorsque parut aux éditions Fata Morgana le petit volume à couverture orange intitulé Vers les icebergs, Le Clézio en adressa un exemplaire à Michaux qui se montra très sensible à cet hommage. Le 22 décembre 1978, il adressait au jeune romancier ce mot de remerciements :
Quel auteur de poèmes reçut jamais pareil cadeau ? On est gêné, paralysé. C’est trop beau. Quelqu’un dont l’envers (qu’il ne peut oublier) est étouffement, absence de relation, et le don venant de vous au style supérieurement aisé, ouvert, généreux… …