Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Henri Michaux Rencontre avec Henri Michaux : INIJI (début)

Écoutez Denis Lavant(lecture "éphémère" à Bordeaux en 2022)

Ne peut plus Iniji


Sphinx, sphères, faux signes,

Obstacles sur la route d’Iniji


Rives reculent

Socles s’enfoncent


. Monde. Plus de monde

Seulement l’amalgame


Les pierres ne savent plus être pierres


Parmi tous les lits sur terre

où est le lit d’Iniji ?


Petite fille

petite pelle

Iniji ne sait plus faire bras


Un corps a trop le souvenir d’un autre corps

un corps n’a plus d’imagination

n'a plus de patience avec aucun corps




Fluides, fluides

tout ce qui passe



passe sans s'arrêter

passe




Ariane plus mince que son fil

ne peut plus se retrouver


Vent



vent souffle sur Araho

vent




Anania Iniji

Annan Animha Iniji


Ornanian Iniji

et Iniji n'est plus animée




Mi-corps sort

mi-corps mort




Annaneja Iniji

Annajeta Iniji

Annamajeta Iniji

............

Extrait de l'article :Le Clézio, lecteur de H.Michaux de Jean-Michel Maulpoix' :

Le second texte (de Vers les icebergs), inspiré à Le Clézio par le poème « Iniji », est paru une première fois en juillet 1973 dans le dossier Michaux du numéro 168 de La Quinzaine littéraire, sous le titre « Un poème qui n’est pas comme les autres ». Son propos met en effet l’accent sur la singularité de ce poème « qui ne distrait pas, qui ne se dérobe pas », mais impose au lecteur une écoute et une entente toute particulière, comme si ces quelques pages lui donnaient tout à coup accès à la musique même du monde :

"Maintenant, après Iniji, on ne s’interroge plus. On a une certitude. On a vu quelque chose, on l’a suivie, comme si on était soi-même en train de la faire, comme si on avait trouvé l’ouïe pour écouter la musique du fond de l’eau."

Voilà en effet un poème, d’allure incantatoire, qui résonne comme une parole magique, une mélopée de type glossolalique, souvent imaginaire et parfois inintelligible, comme celle des aliénés ou des mystiques, et qui ne serait la parole de personne sinon d’une figure de petite fille évanouie, énigmatiquement venue de nulle part, incroyable petite indienne sortie du puits du temps… Voici donc, et Le Clézio y insiste, une parole ni menteuse ni empoisonnée, mais « respiratoire » et comme naturelle, où il semble que l’on assiste à la délivrance du langage, autant dire à sa mise au monde aussi bien qu’à sa pure offrande, parfaitement désintéressée, mais si impalpable et frêle que tout menace de la rompre…

Iniji pourrait être une amie de Naja Naja, de Mondo, Lullaby, Jon ou Lalla : elle appartient à la famille des enfants du désert et de la très haute altitude, de ceux qui connaissent « le secret pour devenir invisible ». Elle suppose le même dédain du savoir préconstitué et de la rhétorique, laissant place au libre déploiement d’une « langue insensée qui avance, magnifiquement autonome comme un corps de dauphin ».

Lorsque parut aux éditions Fata Morgana le petit volume à couverture orange intitulé Vers les icebergs, Le Clézio en adressa un exemplaire à Michaux qui se montra très sensible à cet hommage. Le 22 décembre 1978, il adressait au jeune romancier ce mot de remerciements :

Quel auteur de poèmes reçut jamais pareil cadeau ? On est gêné, paralysé. C’est trop beau. Quelqu’un dont l’envers (qu’il ne peut oublier) est étouffement, absence de relation, et le don venant de vous au style supérieurement aisé, ouvert, généreux…