Poteaux d’angle
Le sage transforme sa colère de telle manière que personne ne la reconnaît. Mais lui, étant sage, la reconnaît… parfois.
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Dans la chambre de ton esprit, croyant te faire des serviteurs, c’est toi probablement qui de plus en plus te fais serviteur. De qui ? De quoi ? Eh bien, cherche. Cherche.
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Tu peux être tranquille. Il reste du limpide en toi. En une seule vie tu n’as pas pu tout souiller.
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Si tu es un homme appelé à échouer, n’échoue pas toutefois n’importe comment.
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Ne te livre pas comme un paquet ficelé. Ris avec tes cris ; crie avec tes rires.
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Même si tu as eu la sottise de te montrer, sois tranquille, ils ne te voient pas.
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Avec tes défauts, pas de hâte. Ne va pas à la légère les corriger.
Qu’irais-tu mettre à la place ?
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Faute de soleil, sache mûrir dans la glace.
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Dans un pays sans eau, que faire de la soif ?
De la fierté.
Si le peuple en est capable.
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Souviens-toi.
Celui qui acquiert, chaque fois qu’il acquiert, perd.
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Tu es contagieux à toi-même, souviens-t’en.
Ne laisse pas « toi » te gagner.
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Le continent de l’insatiable, tu y es. De cela au moins on ne te privera pas, même indigent.
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Tu sors d’un lac, tu rentres dans un lac, portant un bandeau noir, mais tu crois toujours voir clair !
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Certains ont besoin de leur petitesse pour sentir. D’autres font appel à leur grandeur. Certains ont besoin de toi pour se transformer.
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Si affaissé, brimé, si fini que tu sois, demande-toi régulièrement – et irrégulièrement – « Qu’est-ce qu’aujourd’hui je peux encore risquer ? »
Henri Michaux – Poteaux d’angle / 1981