Association Encrier - Poésies

Rencontre avec Henri Michaux Rencontre avec Henri Michaux : Poteaux d'angle 1981

Poteaux d’angle

Le sage transforme sa colère de telle manière que personne ne la reconnaît. Mais lui, étant sage, la reconnaît… parfois.

Dans la chambre de ton esprit, croyant te faire des serviteurs, c’est toi probablement qui de plus en plus te fais serviteur. De qui ? De quoi ? Eh bien, cherche. Cherche.

Tu peux être tranquille. Il reste du limpide en toi. En une seule vie tu n’as pas pu tout souiller.

Si tu es un homme appelé à échouer, n’échoue pas toutefois n’importe comment.

Ne te livre pas comme un paquet ficelé. Ris avec tes cris ; crie avec tes rires.

Même si tu as eu la sottise de te montrer, sois tranquille, ils ne te voient pas.

Avec tes défauts, pas de hâte. Ne va pas à la légère les corriger.

Qu’irais-tu mettre à la  place ?

Faute de soleil, sache mûrir dans la glace.

Dans un pays sans eau, que faire de la soif ?

De la fierté.

Si le peuple en est capable.

Souviens-toi.

Celui qui acquiert, chaque fois qu’il acquiert, perd.

Tu es contagieux à toi-même, souviens-t’en.

Ne laisse pas « toi » te gagner.

Le continent de l’insatiable, tu y es. De cela au moins on ne te privera pas, même indigent.

Tu sors d’un lac, tu rentres dans un lac, portant un bandeau noir, mais tu crois toujours voir clair !

Certains ont besoin de leur petitesse pour sentir. D’autres font appel à leur grandeur. Certains ont besoin de toi pour se transformer.

Si affaissé, brimé, si fini que tu sois, demande-toi régulièrement – et irrégulièrement – « Qu’est-ce qu’aujourd’hui je peux encore risquer ? »

Henri Michaux – Poteaux d’angle / 1981